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Critique de enjie77


« Il y a une énigme de Sainte-Hélène, Napoléon a tout dit sur sa vie passée mais n'a rien vraiment révélé sur sa souffrance de prisonnier. « Il passait la plus grande partie du jour seul dans sa chambre, occupé à feuilleter quelques livres ou plutôt ne faisait rien (…) Il était aisé de s'apercevoir qu'il n'y avait plus en lui ni préoccupation de l'avenir, ni méditation du passé, ni souciance du présent. » Ce genre de remarque consignée par Las Cases en juillet 1816 se retrouve presque à chaque page chez les autres compagnons de l'exil, Gourgaud, Bertrand et son médecin O'Meara.


Imaginez une île perdue, dans l'océan atlantique, petit point à mi-chemin des côtes africaines et de celles de l'Amérique du Sud. Une ile battue par les vents violents, aride, dont la vision frappe par sa banalité. Curieuse apparition que cette ile volcanique. La petite capitale de Jamestown apparaît étranglée entre deux montagnes comme un couloir étroit. Sa vision suscite une angoisse devant cette île britannique qui fut le tombeau de Napoléon, un immense amas de rochers sur lesquels les vagues viennent se fracasser. L'apparition de l'île étreint par la sensation d'être confronté subitement au poids de l'Histoire.

Quelle belle découverte que ce livre chroniqué par @Bobo1001 ! Babelio est une vraie mine d'or.

Merci monsieur Kauffmann d'avoir su si bien nous transmettre vos émotions, votre compassion pour cet empereur déchu. J'avais quelques appréhensions à vous lire, peut-être la crainte d'un style trop savant, trop érudit qui ne m'eut pas autorisée le plaisir que j'ai eu à vous lire.

Seul, un homme tel que Jean-Paul Kauffmann qui a vécu la réclusion dans sa chair, dans son coeur, qui s'est retrouvé otage en 1985 au Liban avec feu Michel Seurat, pouvait à ce point nous faire ressentir ce que peut représenter cette prison à ciel ouvert que fut Sainte-Hélène.

« Je n'ai jamais pris au sérieux l'aventure des deux Anglaises qui, visitant Versailles en 1901, affirmèrent avoir été transportées en l'an 1789. Et pourtant, j'ai l'impression à cet instant de subir une hallucination. La sensation confuse du passé se cristallise soudain en une vision absolument nette comme si devant moi venait de s'opérer un phénomène inconcevable : la réversibilité du temps. Son ruissellement s'est répandu dans une autre direction ». Quel trouble n'est-ce pas et pourtant …..il est des lieux où les murs nous parlent !

J'ai mis mes pas dans les pas de Jean-Paul Kauffmann. Reçu par le consul de France, Michel Martineau, pour une découverte - enquête sur neuf jours, notre guide a pu tranquillement découvrir Longwood, en saisir toute la portée concrète, mais aussi communier avec l'indicible, l'ineffable que seul l'esprit peut percevoir. "La chambre noire de Longwood" : ce titre interpelle, j'ai pensé à la "camera obscura" celle qui a conduit à l'invention de la photographie ou bien noire, couleur du deuil en Occident, de la mort.

Longwood est devenu territoire français en 1858 à la suite de longs pourparlers entre Napoléon III et les autorités britanniques. de l'empereur Napoléon 1er, notre guide préfère l'homme Bonaparte. Kauffmann s'est énormément documenté, à travers ses réflexions, ses lectures des mémoires des compagnons de captivité de l'empereur et ses entretiens avec Michel Martineau, nous plongeons dans le quotidien de la maison de Longwood. Cette immersion permet d'envisager ce qu'a pu représenter, pour l'égo de l'homme qui a été le plus puissant à un moment donné de l'Histoire, la solitude, la réclusion, les conditions de détention. Il faut aussi compter avec la détestation de son geôlier Sir Hudson Lowe. Ce dernier, sous la pression de Lord Barthurst, est obsédé par le risque d'un complot ou d'une évasion, ce qui le rend insupportable aux yeux de son prisonnier mais que lui-même déteste. le récit rappelle la dureté de la cohabitation avec ses compagnons, les batailles d'égo, le sentiment pesant et dévalorisant de l'inutilité qui pousse le prisonnier à dicter ses mémoires, à vivre dans le passé sans perspective d'avenir, le néant tout simplement.

« Je suis assis dans la petite chambre de Napoléon, où il s'enfermait pendant des journées, voire des semaines, quand il était cafardeux. Je calcule la dimension de la cellule : pas plus de seize mètres carrés. Il me semble mieux comprendre, à présent, la tristesse et la solitude du prisonnier. Toujours cet aspect étriqué, une manière insipide, à la limite de l'indigence, de sauver les apparences, de tenir son rang. A cette mesquinerie s'ajoute une fadeur tropicale qui donne à l'ensemble un air morne, une sorte de saisissement gris et mou. « Il faudrait pouvoir s'endormir et ne se réveiller que dans un an ou deux » déclare-t-il Gourgaud.

Tout au long de la lecture, on sent à quel point la captivité a marqué l'auteur. Une partie de lui-même est restée otage au Liban. le traumatisme de la détention guide ses pas jusqu'à Hauteville House de Guernesey, chez Victor Hugo. Il évoque les sensations qu'il ressent entre les murs de ces hauts lieux de réclusion. Ses pas et sa quête le mènent jusqu'à Eylau, aujourd'hui Bagrationovsk. Accompagné d'un professeur d'histoire russe, d'un guide-interprète et d'une reproduction au format de carte postale du tableau du baron Gros, les trois hommes nous font revivre la bataille d'Eylau. C'est un moment de grande solennité, celui qui m'a le plus bouleversée.

Ce récit est pétri de générosité, d'empathie, un véritable concentré d'humanités. Jean-Paul Kauffmann arrive à la conclusion que c'est la mélancolie qui a empoisonné l'empereur.

Je me suis tellement imprégnée de ce récit que je n'ai pu m'empêcher de me rendre aux Invalides, voir le tombeau de Napoléon

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