Citations sur Escalier interdit : Souvenirs d'une jeune enseignante (23)
Si j’étais un homme, je me ferais pousser la moustache.
Ce matin, les élèves, agglutinés sur le trottoir devant l’entrée du lycée, se sont écartés sur mon passage. Les filles étaient soit pâlichonnes, soit masquées sous une épaisse couche de maquillage, et les garçons me lançaient des œillades appuyées. « Hééé… mécékiça ! Visez-moi un peu… waouh ! » Leurs sifflements admiratifs et insolents m’ont poursuivie à l’intérieur.
(Ou mieux, tiens, une barbe.)
Pour un esprit jeune, un cliché a la saveur d’une nouveauté. Croire en son étoile ! Les cordonniers sont les plus mal chaussés ! Et lorsque la sonnerie de fin a retenti, j’ai eu droit au plus beau des compliments : ils ont râlé ! Ils se sont agglutinés devant la salle, gazouillant comme des moineaux impatients de picorer les graines que j’avais semées, lorsque nul autre que le Parfait Abruti a surgi.
Beaucoup de nos élèves – bien qu’ils aient physiquement atteint leur taille adulte – ont un niveau de lecture correspondant à la fin de primaire. Leurs lectures se résument à des bandes dessinées basiques et des romans policiers. Ils suivent leur scolarité depuis une dizaine d’années maintenant, et pourtant ils ne savent pas ce qu’est une phrase.
Les livres que l’on nous demande d’étudier n’ont, la plupart du temps, rien à voir avec rien, et ne figurent au programme que parce qu’ils ont toujours été étudiés, parce que le lycée en possède un stock, parce qu’un comité ou un autre a été chargé de pondre une liste.
C'est dur d'éviter la lecture parce que où qu'on aille il y a des choses à lire.
McHabe, bien sûr, est le genre de tyran mesquin qui s’épanouit au sein du système scolaire, de l’armée ou d’un régime totalitaire. À mes yeux il incarne à la perfection ce que l’esprit humain peut avoir d’étriqué, de méchant et d’avilissant. J’ai eu une altercation avec lui au sujet d’un de mes élèves, Joe Ferone, qu’il avait accusé de vol – sans preuve, ai-je découvert.
Les autres, me semble-t-il, ont baissé les bras, quand ils ne passent pas leurs nerfs sur les élèves. « Les êtres capables agissent, les autres enseignent. » À l’instar de la plupart des proverbes, celui-ci n’est qu’à demi vrai. Ceux qui en sont capables, enseignent ; les autres – les êtres amers, ceux qui se sont fourvoyés ou ont échoué dans différents domaines – trouvent dans le système scolaire un prétexte, ou un refuge. Il y a Mary Lewis, timide et soumise, qui se traîne dans les couloirs aussi chargée qu’une mule et ne vit que pour le surmenage et la pénibilité, qui suit à la lettre la moindre directive émanant de la direction, bref une martyre consentante du système.
Nous nous sommes lancés dans un débat animé sur l’opposition entre l’aspiration et la réalité. Est-il raisonnable, leur ai-je demandé, de viser à dépasser ses compétences ? Cela ne condamne-t-il pas l’individu à l’échec ? Non, non, m’ont répondu certains, c’est l’ambition et le progrès ! Au contraire, se sont écriés d’autres, c’est la frustration et la déconvenue ! Et l’espoir ? Et le désespoir ? Il faut être pragmatique ! Il faut avoir des rêves !
J’ai appris que, depuis les récentes menaces de grève, les négociations avec le syndicat des enseignants et l’intérêt grandissant du public pour la question, nous bénéficions de « conditions améliorées ». Et pourtant, en deux semaines d’enseignement, j’ai eu au contraire l’impression qu’elles étaient considérablement dégradées.
À travers vous, et d’autres, la démocratie pourra poursuivre sa marche vers l’avenir : stimulée et fortifiée par votre formation complète et parfaite, elle pourra obtenir des victoires plus triomphales et éclatantes. Nous n’avons aucun doute sur le fait que notre travail et notre investissement porteront leurs fruits et vous permettront d’atteindre ces objectifs, car au sein de la démocratie à taille réduite que constitue notre établissement, vous vous montrez dignes de notre confiance et de nos attentes.
Les jeunes avec des problèmes émotionnels ou des difficultés d’apprentissage sont envoyés pour leur part dans un programme spécial – où les enseignants touchent 600 dollars de prime. Cependant la grande majorité des élèves, ceux qu’on dit ordinaires, se retrouvent à Calvin-Coolidge ou dans son équivalent. Idem pour les enseignants.