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Critique de Romileon


Voici un roman, car il s'agit bien d'un roman, même si le sous-titre laisse entendre qu'on s'apprête à lire un témoignage, dont la forme est tout à fait inhabituelle. Composé de lettres écrites par Sylvia Barret, la jeune enseignante, à son amie Ellen à qui elle confie son désarroi, ses doutes, de communications internes entre enseignants, des mémos de l'administration, de textes d'élèves, de remarques de ceux-ci glissées dans la boite à idée sous couvert d'anonymat, d'extraits d'un cahier de brouillon, ce qui pourrait paraitre un fatras incohérent, permet à Bel Kaufman de construire un portrait de l'équivalent de notre belle Education Nationale qui confie nos chères têtes blondes à qui veut bien s'en charger, lance de jeunes enseignants sans expérience, sans outils dans l'arène d'une salle de classe, en leur assignant une mission hautement exemplaire : celle de former les adultes de demain. Des adultes dotés d'un minimum de culture générale, d'un minimum d'expérience du raisonnement, des adultes pensant…. 😊
Dans ce lycée imaginaire se côtoient évidemment des élèves que l'auteure a fortement typés : le timide qui n'ose pas prendre la parole devant la classe, la jeune fille fleur bleue qui fantasme sur le jeune prof séduisant, le rigolo de service, le dur qui ne connait que le rapport de force ; des profs type : des expérimentés sévère ou bienveillant, la débordée, le désespéré, le dilettante ; mais aussi les autres membres du personnel : du Proviseur enfermé dans son bureau qui n'en sort que pour prononcer des discours soporifiques, le proviseur-adjoint terrifiant aussi bien les élèves que les profs, l'infirmière qui n'a de recours pour soigner les élèves que de leur offrir un thé ayant interdiction de donner quoique ce soit, ou de toucher quelque bobo que ce soit, la documentaliste qui refuse que les livres sortent de la bibliothèque et aussi quelques parents investis ou largués ou agressifs…
Quel talent que d'avoir réuni ce qui semble être un maelström décousu de docs, et qui, par un agencement brillant, permet de décrire cette institution qui marche sur la tête.
Le titre original en est un excellent exemple « Up the down staircase » soit « monter l'escalier réservé à la descente ». Dommage que le choix de la traduction fasse perdre le sel ce que l'auteure elle-même, dans sa postface, explique comme étant non seulement révélateur de la mesquinerie de l'administration (les injonctions absurdes sont très drôles) mais aussi une métaphore de celui qui choisit d'aller à contre-courant du système.
Le système est absurde : obsession de résultats quantifiables obligation de compléter des tableaux que personne ne lit jamais, réunions chronophages qui ne règlent aucun problèmes cruciaux, jargon fait d'acronymes que seuls les initiés comprennent comme « Lettres SS » = cours de Lettres avec les sujets stagnants, « FC » = Formule clé soit une phrase profonde caractérisant chaque élève qui sera elle-même notée sur la « FP » = fiche permanente sur laquelle on trouve aussi le « PEP » = profil de l'élève personnalisé. Bel Kaufman n'oublie bien évidemment pas le manque cruel de moyens : locaux délabrés, manque de craies, de chaises, de tables…

Je me suis régalée de ce tableau d'une institution certes étasunienne, certes des années 60, certes imaginée dans un quartier défavorisé mais dans lequel j'ai reconnu bien des situations, des aberrations, des inepties rencontrées durant ma longue carrière d'enseignante.
C'est pertinent, c'est drôle et je ne m'étonne pas que ce roman ait été un best-seller aux Etats Unis dès sa sortie.
Merci à @BurgBabil qui par son billet m'a mis sur la piste de cette pépite.
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