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Critique de Apoapo


Dans l'urgence de l'info sur les (probables) djihadistes français, Maxime Hauchard et Mickael Dos Santos, je me suis précipité à lire cette courte synthèse "à visée pédagogique", qui a sans doute été rédigée aussi dans (une autre) urgence.
Je connais et j'estime J-C. Kaufmann comme sociologue de la vie quotidienne, mais je n'ai pas lu ses deux ouvrages de sociologie de l'identité : L'invention de soi (2004) et Quand Je est un autre (2008).

Ce livre se compose de trois chapitres : le premier, une mise au point théorique sur l'identité, est certainement le plus dense et intéressant, le second et le troisième, de nature beaucoup plus pamphlétaire, s'attelant à la question des dangers d'une explosion conflictuelle de nature identitaire probablement imminente et de vaste envergure, en relation avec la "faillite du capitalisme financier" et l'augmentation effrayante des inégalités. J'aime beaucoup, d'emblée, cette mise en relation de l'identité avec l'économique. Même si elle ne m'a apporté que des réponses assez indirectes vis-à-vis de mon questionnement de départ.

L'identité est une notion floue et galvaudée par sur-usage. Cela est très dangereux, d'autant qu'il existe un précédent historique : c'est la notion d'intérêt au XVIIe s. : "ce flou jouait un rôle social fondateur. Il allait permettre de placer l'économie de marché au centre de la régulation sociale" (p. 10).
Trois erreurs sont commises en pensant à l'identité : "croire qu'elle renvoie à l'histoire, à notre mémoire, à nos racines", alors qu'elle relève essentiellement de la seconde modernité occidentale des 50 dernières années, liée à la subjectivation ; la confondre avec l'identification administrative (papiers d'identité), fondée, elle, sur des données et une classification objectives ; la croire fixe alors qu'elle est de plus en plus fluctuante, cette erreur renvoyant ainsi soit à une conception essentialiste, soit aux dérives intégristes (totales, holistes et omni-compréhensives).
La subjectivation moderne des sociétés individualistes possède des dimensions émancipatrices, mais "elle peut aussi s'avérer épuisante pour l'individu moderne, produisant des situations très discriminantes, de nouvelles inégalités. Les personnes dont la position sociale garantit une certaine reconnaissance, et qui sont inscrites dans des réseaux multiples et diversifiés, ont la possibilité de jouer de leurs différentes facettes identitaires. Celles au contraire qui se sentent davantage sur la défensive, menacées de stigmatisation ou plus simplement d'une perte d'estime de soi, sont guettées par le risque d'un repli [...] dans des totalités significatives qui leur fixent une identité, aussi indiscutable qu'une croyance religieuse." (p. 19)

Dans le ch. II, où l'accent est posé sur la crise économique provoquée par le surendettement global, il est question de l'antidote individualiste, intimiste, sécurisant et réconfortant que sont nos "passions". "Le mot passion, qui vient d'une lointaine mystique radicale, s'est étonnamment installé aujourd'hui dans le langage courant pour désigner [...] de simples pratiques de loisir. Nous sommes passionnés de musique classique ou de football, nous éprouvons une vraie passion pour nos rosiers ou notre chien" (p. 38). Mais ces passions étant aussi très inégalitaires, ceux qui en sont exclus transforment leur besoin de reconnaissance en "éclats passionnels" : "La rancoeur, la rage et la haine se libèrent et s'installent face à des 'eux' amalgamés et mal définis". (p. 39)

Dans le ch. III, "la montée des périls" est représentée par le racisme, le national-racisme, le rejet des étrangers et autres porteurs d'identité jugée autre, selon des critères vagues et fluctuants mais tournant autour de : "religion, race, nature, tradition, nation". Des exemples français récents sont rapidement convoqués : les "bonnets rouges" de l'automne 2013, la "quenelle" néo-nazie et autres "cadeaux" d'Alain Soral et Dieudonné, la "respectabilité" du FN, la généralisation de la stigmatisation des Roms, le "Printemps français" contre le mariage pour tous, le "Grand débat sur l'identité nationale" promu par Sarkozy, mais aussi des phénomènes analogues en Italie (contre la ministre Cécile Kyenge et autres violences inouïes), et en Russie notamment ; les tensions intra-européennes (entre pays du Nord et du Sud) sont également évoquées.

La sonnette d'alarme étant tirée dans des tons assez apocalyptiques, il reste à faire un plus long travail d'analyse de tous ces symptômes, au moins aussi précis que celui qui a été fourni dans le diagnostic.
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