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Critique de GeraldineB


Plus qu'un voyage en mer à bord d'un vieux cargo en partance pour la Chine, Nikos Kavvadias nous offre une plongée dans la solitude profonde des marins au long cours. Les bras tatoués, les mains rongées par le sel, ces hommes ont l'âme rude. Ils n'ont souvent pas de maison et parfois plus de patrie. Leur métier, leur vie, c'est la mer. Leur pays, le corps des femmes.

Nikos Kavvadias a navigué sans relâche pendant 30 ans, nouant et dénouant des amitiés au hasard des embarquements et des amours au gré de ses escales. de ces années passées en mer, il a gardé le souvenir des conversations entre hommes. Il sait que la femme y est toujours présente. Il y a celles pour lesquelles on s'inquiète et celles qui se sont lassées de vous attendre. Il y a aussi celles à qui l'on a promis le retour et qui ne vous ont jamais revus. Il y a même, les jours de cafard, le souvenir de la tendresse d'une mère ou d'une soeur. Et puis il y a les putains, ces femmes offertes à tous que l'on trouve dans les ports et qui parfois vous attacheraient s'il n'y avait l'appel de la mer. Mais toutes, qu'elles soient mère, épouse ou putain, ont échoué à retenir ces hommes qui préfèrent se brûler les yeux à scruter l'horizon.

Ce sont ces confidences fraternelles qui font la matière du livre de Kavvadias. "Le quart", ce sont quelques marins, le capitaine, le radio, le jeune pilotin qui a attrapé la syphilis. Ils ne se sont pas choisis mais pourtant ils vont devoir vivre ensemble, dans ce vieux rafiot, à la merci des vents contraires. Autour d'un café ou d'une bouteille d'alcool, ces trois-là se racontent leurs souvenirs, leurs amours déçus et les fautes commises.

L'écriture est d'une poésie brute et nous fait entrer dans le coeur de ces hommes qui n'ont aucune attache. C'est un récit noir et profond. le texte drague le fond des âmes et ce qui en remonte a parfois un léger goût de vase.
On a comparé Kavvadias à Céline ou à Malcolm Lowry. Cela ne me choque pas. Il y a chez eux la même lucidité et la même maladie de l'âme que l'on nomme mélancolie. Mais la voix de Kavvadias est singulière et envoûtante comme l'est le chant des sirènes. "Le quart" est un récit sombre et vénéneux qui parle à nos regrets et à nos envies, parfois, de prendre le large. Mais surtout, c'est un formidable chant d'amour offert à la mer, compagne jalouse qui exige des marins un don total de soi.

"Cri de la sirène, brouillard, chaleur, fatigue se mêlent. Dévêts-toi. Je te donnerai la brume pour vêtement. Je boirai encore un verre à la santé de la mer. À la santé de la sirène qui est tatouée sur mon bras. Qui saute à la mer chaque nuit et me trompe avec Poséidon. Elle revient le matin quand je dors encore, couverte d'algues et d'orties de mer. Quand nous restons longtemps à terre elle se flétrit et perd ses couleurs."

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