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Critique de RogerRaynal


Assurément, c'est là un bien étrange récit que nous propose Kawabata. Ce n'est ni un roman, ni un recueil de nouvelles, mais un assemblage, forcément inachevé, des chroniques qui furent publiées quotidiennement pendant deux mois, de début 1929 à début 1930, dans le journal Asahi Shinbun.
Nous nous retrouvons avec des juxtapositions de scènes de rues dans le quartier mal famé qu'était alors Asakuza, lieu fertile en maisons de passe et spectacles érotiques, à la population interlope et à la morale élastique… Les personnages vont et viennent, disparaissent, reparaissent au détour d'une ligne pour s'évanouir de nouveau, et il ne faut pas y chercher un quelconque fil narratif. Tout juste si l'on peut dire que l'on y suit les mésaventures de quelques membres de la « bande des ceintures rouges », qui n'ont rien de malfaiteurs, d'ailleurs, ou du moins pas de façon explicite. Ils s'amusent, par exemple à laisser leurs billets votifs, achetés au temple, sur les endroits les plus inattendus, comme la grosse lanterne qui décore le portique d'entrée dans ce quartier consacré au temple de Kannon. 

Kawabata intervient lui-même dans le récit. Il y fait la connaissance de Yumiko, qui lui affirme très vite qu'« à Asakuza, trop de gens font commerce de la misérable laideur de l'apparence humaine ». On y découvre donc les filles d'Asakusa, « poupées de foire », mais aussi les naufragés de l'histoire, comme ces réfugiées russes, appréciées pour leur peau immaculée « à l'opaline blancheur », et qui se trouvent plus ou moins contraintes d'être des danseuses (une profession qui permettait de surmonter facilement l'obstacle de la langue) faisant à un bon prix commerce de leurs charmes slaves. 

Kawabata, désirant au début du récit s'installer dans le quartier, et au regard volontiers attiré par les tenues écarlates des jeunes filles, y décrit aussi les rues, les magasins, les terrains vagues, les ponts, les salles de spectacles et leurs revues plus ou moins déshabillées ; toute une géographie disparue, instable, qu'il déroule sous les yeux du lecteur, mais qui à l'époque de sa rédaction était une peinture vivante de la vie agitée du quartier. Des music-halls où l'on sent, après le spectacle, « une odeur de mendicité imprégner le sol, les chaises et les murs » au kurenai-maru, bateau où se déroule un face-à-face amoureux et tragique aux accents surréalistes ; de l'histoire d'Umé le chat d'argent au désastre du tremblement de terre de 1923 ; nous retrouvons Yumiko, héroïne multiple de récits entrelacés, et les aventures de ses connaissances, comme Hiko le gaucher ou Chiyo, jeune fille tôt flétrie, dans les nuits chaudes de l'été.
Ce récit ressemble donc davantage à une collection d'impressions, à des histoires imaginées lors de promenades à Asakuza, et c'est probablement de cela qu'il s'agit. Kawabata avait pour habitude de composer ses romans, à une certaine époque, en effectuant une mise en scène d'écrits disparates, collectés, mis en perspective et remaniés. Là, c'est le matériau presque brut, journalistique au sens propre, de cet assemblage, qui n'a jamais été réalisé, qui nous est offert.

La traduction, de Suzanne Rosset, ne souffre aucune critique, et nous rend avec vivacité et justesse les impressions de l'auteur, qui nous convie à une promenade où les époques se mélangent et se télescopent, qu'il ne faut pas aborder comme un récit fini, une nouvelle terminée, mais comme une collection d'articles aux minces fils conducteurs, car, comme le note Kawabata, « essayer de donner un reflet de ce qu'a été la vie d'Asakuza est encore plus problématique que de capter les rayons du soleil de l'année précédente ».
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