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Critique de BazaR


Lorsqu'on se lance dans une lecture commune avec des amis autour d'un Guy Gavriel Kay, on sait d'avance qu'on va partager du bonheur en plus de deux doses. Nous sommes plusieurs babéliotes à avoir tenté une aventure qui a tenu ses promesses. C'était le roman Tigane.

Tigane a été écrit après la trilogie Fionavar, décrite comme une fantasy classique sur le mode SdA, et avant La Chanson d'Arbonne dans laquelle l'auteur déploie sa vision de la fantasy historique. C'est une sorte d'étape intermédiaire : la magie y joue un rôle conséquent et l'on retrouve des éléments de notre Histoire – de la Renaissance italienne du 16ème siècle en l'occurrence. La projection de notre Histoire n'est cependant pas encore aussi nette que dans les romans qui suivront. On retrouve des atmosphères : une Palme au lieu d'une Botte, des états autonomes et fiers dont l'un fait penser à la Toscane des Médicis, une ambiance des « Guerres d'Italie » avec des réminiscences d'un Charles VIII ou Louis XII d'un côté et d'un Royaume de Naples tenu par un Aragon puis par la couronne d'Espagne de l'autre, une senteur exotique de la cour ottomane de Soliman le Magnifique. Mais tout est mixé et produit autre chose de plus magique et de plus simple aussi (heureusement, la politique en Italie est d'une complexité sans nom à l'époque). Par ailleurs on ne retrouve pas le type de batailles de l'époque, avec des canons et des piétons aux longues hallebardes. de ce côté, cela reste très médiéval.

Tigane est un roman qui parle d'union, alors que les héros aspirent à unifier la Palme pour pouvoir à jamais tenir tête aux tyrans venus de l'extérieur. Lu en 2021, il forme un contraste étonnant avec le désir courant de nombreux peuples de se séparer les uns des autres pour revenir à leur gloire locale et égoïste. L'atmosphère était différente en 1990 quand Kay écrivait son roman ; l'URSS tombait et l'espoir d'union régnait.
Tigane est un roman sur la mémoire, sur l'importance de savoir d'où l'on vient et de pouvoir l'affirmer haut et fort où que nos pas nous mènent. A cause de la vengeance d'un tyran sorcier, les habitants de la Tigane ont perdu ce droit de mémoire. Tout le roman est construit autour de sa réhabilitation.

Le bonheur de lecture des ambiances sociales que maitrise Guy Gavriel Kay est au rendez-vous. L'auteur sait toujours nous mettre à l'aise avec ces réunions entre amis ou connaissances où le respect, l'amitié et l'amour rayonnent. Les scènes de musique dans les tavernes nous rappellent forcément nos bons moments. Les héros se préoccupent toujours de la façon dont leur interlocuteur va interpréter leurs paroles et prennent énormément de gants. C'est presque trop. Un tel respect d'autrui est aussi de la fantasy mais il est très agréable à lire, autant que les scènes d'action et les actes d'héroïsme pur.

Il y a beaucoup d'évolution du nombre de points de vue alors que le roman avance. Cette évolution est associée à un certain déséquilibre. L'essentiel du roman se passe à rencontrer une multitude de personnages qui devront jouer un rôle plus ou moins important plus tard (cela m'a rappelé la BD Rork d'Andréas). Hormis quelques scènes qui éclatent c'est plutôt calme et j'ai fini par m'inquiéter de ne pas voir l'action démarrer. Durant cette période, seuls deux ou trois personnages ont droit à un point de vue, comme Devin et Dianora (définitivement le personnage le plus formidable, le plus cornélien, du roman), essayant de pénétrer les pensées de ceux qui les accompagnent. L'action finit par se déployer à la vitesse d'un cheval au galop. le terrain de jeu étant large, les points de vue se multiplient, brefs et saisissant. Les scènes d'héroïsme pur qui font frémir aussi.

On peut se laisser porter sans réfléchir par cette frénésie ; cela a été mon cas. C'est la discussion a posteriori avec Fifrildi qui a permis de relever certains points faibles. Dans le feu de l'action on peut croire que l'un des héros qui rêve d'union – Alessan – a tout planifié depuis longtemps. Mais en réfléchissant un peu on s'aperçoit qu'il a surtout profité de l'évolution finale des événements et de certaines rencontres passées qu'il n'avait pas pu prévoir depuis longtemps. Ses plans initiaux étaient-ils véritablement bien construits ? Difficile de le croire et, ainsi, on s'aperçoit qu'il était parti dans une aventure très hasardeuse.

La fin peut paraître à la fois douce et amère. le roman aurait pu se terminer autrement pour certains personnages. Je l'ai souhaité. Mais là aussi en réfléchissant je me suis dit que le choix de l'auteur était celui qui obérait le moins l'avenir de la Palme. Sauver telle personne, dévoiler tel secret, cela aurait été satisfaisant sur le moment mais les conséquences auraient pu être psychologiquement graves pour les vainqueurs.

En fin de compte je crois que Kay aime les fins de contes de fées.
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