À la conquête du Marquis

Quand elle vit l'expression dans ses yeux, son cœur fit un bond. Elle avait l'impression qu'ils reflétaient les enfers. Mais ces enfers-là étaient enveloppés d'une épaisse couche de glace en lieu et place des flammes des âmes damnées.

À cet instant, avec une terrifiante impression d'inéluctabilité, elle prit conscience que ce qu'elle éprouvait pour lui était bien plus qu'une toquade de gamine et qu'une ridicule fantaisie de vieille fille. Aprės toutes ces années, et avec un caractère définitif qui, elle le savait, allait signifier sa perte, Meredith comprit qu'elle était follement et irrémédiablement amoureuse.

Quand bien même, la plupart des jeunes filles bondiraient sur l’occasion de pouvoir participer à une Saison parrainée par l’une des ladies les plus puissantes de la capitale. Pas Meredith manifestement, et ce n’était que l’un des points qui la rendaient si différente de toutes les femmes qu’il avait connues.

Elle aussi était très belle, et cela le tourmentait plus que tout. Sa petite vesteen velours rouge cerise soulignait sa généreuse poitrine et lui dessinait des
hanches parfaites. Il mourait d’envie de lui caresser tout le corps, de glisser ses doigts dans sa chevelure noir brillant, de les passer sur ses courbes
féminines, jusqu’à ses pieds élégamment chaussés de bottines de marche.

Elle détestait évoquer la manière dont son père avait trouvé la mort. En général, les gens étaient soit choqués, soit étrangement fascinés, et en tout cas bien trop curieux de connaître des détails
incroyablement douloureux à rapporter.

Elle avait l’impression d’avoir un poids dans le ventre, comme chaque fois qu’elle se rappelait la mort de son père. La vague de noirceur familière qui menaçait
chaque fois de la submerger et de la tirer vers le fond la paralysa.

Elle en avait toujours été frustrée et s’était même demandé s’il ne lui manquait pas un élément vital dont la plupart des autres femmes paraissaient être pourvues. Les unes après les autres, ses amies, à la campagne, s’étaient mariées, et elles en
avaient toutes l’air ravies. Il n’y avait qu’elle qui était restée célibataire et, au cours de ces dernières années, la solitude avait commencé à s’installer
en elle comme une mauvaise herbe.

Elle n’avait jamais connu d’homme comme le marquis de Silverton. Il était si beau et si élégant qu’elle était éblouie par le simple fait de le regarder. Tandis
qu’ils suivaient les autres, elle baissa involontairement les yeux sur lui.
Elle ne put s’empêcher de remarquer, dans son haut-de-chausses moulant et ses
bottines, ses longues jambes athlétiques dont les muscles avaient dû se développer au fil des heures qu’il avait passées en selle.

Elle savait qu’il était ridicule d’être si nerveuse. Elle s’était reproché un grand nombre de fois de trop laisser libre cours à son imagination débordante, mais en vain. Il n’y aurait qui lorsqu’Annabel serait mariée
qu’elle pourrait se permettre de baisser la garde.

Encore. plus curieusement, pourtant, il avait l’impression, eh bien... d’être amoureux.
Tout ce dont il avait envie, à cet instant, c’était de trouver un recoin sombre dans lequel l’attirer, de retrousser sa jupe, et d’explorer avec sa bouche et
ses mains toutes ces courbes délicieuses et cette peau de velours.

C’est l’un des plus grands malheurs de la vie : nous sommes parfois obligés de
côtoyer des parents que nous aurions préféré ne pas connaître. Tenez, moi, par exemple. Dieu seul sait quel crime j’ai commis pour me retrouver à devoir
fréquenter quelqu’un d’aussi frivole que toi.