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Critique de 4bis


Le révérend Bott a l'écriture trop brouillonne pour savoir se relire. Alors il tape ses sermons à la machine à écrire. Evidemment, le résultat est presque plus calamiteux puisqu'au peu de variations que consentent ses pattes de mouche se substitue l'infinie combinatoire d'une alternance anarchique des majuscules, minuscules, des signes de ponctuation indus, du dangereux voisinage de pas moins de sept touches autour de la lettre que ses doigts malhabiles auraient dû frapper. Minuscule coin enfoncé dans l'orthodoxe dessein divin, les sermons du révérend en prennent un tour absurde délicieusement piquant.

Quant à Mrs Paley, aussi ridicule que ce soit, elle rêve de partir en Chine sur la foi des souvenirs qu'elle a d'un paravent de son enfance. Avec « un lac et des gens qui pêchaient sur de légers esquifs parmi des rochers aux étranges volutes ». Quel pays merveilleux ce doit être que cette Chine-là ! Avec ce qu'est son quotidien auprès du sinistre Mr Paley, on conçoit qu'elle s'y évade.

Mrs Ellis vient d'on ne sait quel monde. Il semblerait qu'elle ait frayé dans des cercles autrement huppés par le passé. L'aigreur aura sans doute corrompu son tempérament. A moins que ce revers de fortune ne soit justement dû à un épouvantable caractère. La voilà, toujours est-il, à servir dans ce nouvel hôtel sur la côte anglaise au pied des falaises.

Mr et Mrs Siddal n'auraient pas autrement les moyens de subvenir aux études de leur cher Duff. En ce bel été 1947, ils ont donc ouvert leur maison aux hôtes payants. Mrs Siddal s'épuise en cuisine. Mr décline un mélange d'agressivité passive et de condescendance houleuse depuis le placard à chaussures qui lui sert désormais de chambre. Gerry, l'ainé qui est médecin, ne compte que pour offrir ses revenus à sa famille désargentée et se plier à toutes les corvées que réserve ce nouveau projet. de toute manière, serviable et couvert de boutons comme il est, à quoi d'autre serait-il bon ?

Et puis, Lord et Lady Gifford, leur quatre enfants. Les trois petites Cove et leur épouvantail de mère. le chanoine Wraxton et sa fille au moins aussi hystérique qu'il est fou furieux, la délicieuse Nancibel, Fred, Robin, la sulfureuse Anna et son chauffeur Bruce.

Et une bonne partie de ce joli petit monde va périr écrabouillé sous un pan de falaise qui détruira impitoyablement l'hôtel et ses hôtes encore présents.

Non, ne tapez pas, je vous promets, je ne gâche rien, ce fait est connu dès les toute premières pages du roman.

Qui en revanche ? Ca, je ne vous le dirai pas. Il faudra le découvrir au terme des sept parties de ce livre comme autant de jours qui séparent ce joli samedi initial du vendredi de la catastrophe.

Mis dans la confidence, le lecteur a ce trouble statut de voyant et de juge. C'est depuis cette place qu'il assiste au spectacle souvent indigne des actions des uns et des autres. Dans une Angleterre traumatisée moins par la guerre que par les trahisons qu'elle a provoquées, il faut faire avec les déserteurs revenus des Etats-Unis où ils avaient fui la disette et les bombes, les tickets de rationnement que d'aucuns prétendent marchander, les courages qui se sont débinés et les drames qui sont restés tus. Il faut accepter la ruine des grandes fortunes, la montée des classes laborieuses et la difficulté à garder une conduite dans un monde effrayant.

Quelle différence entre l'orgueil et la dignité ? Entre la patience et la soumission ? N'y a-t-il aucune morale à tenir et seul un plaisir à pourchasser ? La guerre doit-elle excuser les comportements les plus abjects ou le vers était-il dans le fruit bien longtemps auparavant ?

Sous ses atours grotesques ou grinçants, la farandole de personnages en vacances à l'hôtel des Siddal pose ces questions avec une urgence qu'explique leur situation souvent désespérée. Et loin d'y répondre avec toute la componction qu'on attendrait d'une romancière de bon ton, Margaret Kennedy s'appuie sur un sens affirmé du caustique pour clamer que le dogme étouffe et que la charité n'est rien que d'humain.

Mais c'est drôle. Délicieusement, légèrement drôle. A la manière d'une comédie bien sûr, avec des fêlures qui rappellent certains personnages de Dickens, d'autres qui m'ont fait penser à Beckett s'il avait été lâche ou flegmatique. C'est drôle et acidulé. On y trouve assez d'humour et de lucidité pour retremper son courage et se dire que, si le ciel est vide, tout n'est pas perdu pour autant.
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