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Critique de Henri-l-oiseleur


"Prophète en son pays" est un ouvrage d'un grand intérêt, car le savant sociologue et orientaliste Gilles Kepel y retrace les grandes étapes de sa vie, qui se confondent avec celles de ses études, lesquelles rejoignent les scansions de la plus brûlante actualité. C'est une autobiographie intellectuelle et politique, écrite par un enquêteur de terrain qui a observé l'essor de l'islamisme en Egypte, puis dans les banlieues françaises, enfin les métamorphoses du Djihad dont nous sommes victimes depuis le début du XXI°s. A plusieurs reprises, l'auteur rappelle qu'on ne saurait rien comprendre à ce qui se passe, dans les sphères savantes et de décision politique, sans la connaissance de l'arabe : or l'ignorance de cette langue ne semble pas gêner les universitaires, les spécialistes de plateau, encore moins les diplomates, dont le président actuel a d'ailleurs supprimé le corps. Cette connaissance orientaliste place l'auteur en position de juger ses pairs, et de voir clair dans les propagandes venues d'Orient, dans la mouvance woke et dans l'islamo-gauchisme occidentaux, dont il retrace l'histoire en termes savoureux et fascinants. La lecture de ce livre laisse voir l'état effrayant de l'Université et des sphères de décision françaises, colonisées par le Frérisme (sur lequel un livre est paru récemment) qui rend impossibles toute interprétation lucide de ce qui arrive, a fortiori toute résistance et toute protection de la société française. Non seulement la lucidité et la réflexion, mais aussi le courage, semblent être passés de l'autre côté : "Du côté de la barbe est la toute-puissance" comme dit Arnolphe dans l'Ecole des Femmes.

Gilles Kepel fait donc une sorte d'autobiographie bien différente des autres, même si elle se présente à chaque chapitre comme un plaidoyer pro domo : il tient à nous rappeler qu'il avait raison avant tout le monde (cela est pardonnable), dans un style et une langue parfois exécrables. La syntaxe est à la fois compliquée et relâchée, le système verbal anarchique, le lexique défiguré par des clichés, et les cacophonies révèlent l'absence d'oreille de l'auteur. Cela m'a surpris, car Gilles Kepel est un linguiste de formation, habitué à jongler avec les langues et surtout, avec les divers niveaux de l'arabe (on sait que le Coran est un chef-d'oeuvre poétique). Mais il est aussi un sociologue, ce qui explique sans doute l'état de son français. C'est dommage, car il décrypte et prend à rebrousse-poil toute une doxa politico-médiatique. Son livre ouvre la voie à des recherches affranchies du conformisme ambiant. Ce n'est pas trahir le livre que de souligner qu'on ne peut se libérer de la sottise et de la soumission qu'en évitant de parler comme elles. A ce titre, il arrive à l'auteur de tomber dans de regrettables clichés de pensée, comme dans ce passage où il met sur le même plan le Rabbi de Loubavitch, le Pape Benoît XVI, qui n'ont pas fait de mal à une mouche, et les prédicateurs enragés, fourbes et sanguinaires des mosquées d'aujourd'hui. On voit ici le piège islamique des "trois religions monothéistes" (souligné par Alain Besançon) se refermer sur un homme qui a toujours eu soin de rester neutre dans son étude, et qui n'a pas cédé, à la façon de tant d'orientalistes convertis à l'islam, à la fascination de leur objet. de plus, Gilles Kepel s'est laissé leurrer par l'illusion d'une action politique, que lui ont fait miroiter des Cazeneuve, des Valls, des Hollande et même un Macron.

Ce livre est donc à lire avec prudence, mais je le crois bienfaisant et stimulant. le magazine Eléments de décembre 2023, n°205, consacre à "Prophète en son pays" deux articles en miroir, l'un pro et l'autre contra, par Gérard Boulanger et Camille Ernest. Rien ne prouve mieux la fécondité d'un livre de ce genre que les débats qu'il suscite.

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