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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante, même si elle fait des références à la mythologie et à l'environnement de Batman. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2014/2015, coécrits par Becky Cloonan et Brenden Fletcher, dessinés et encrés par Karl Kerschl. Ce dernier a été aidé par Mingjue Helen Chen qui a dessiné et encré l'épilogue, ainsi que la séquence se déroulant à Arkham. La mise en couleurs a été réalisée conjointement par Geyser, Dave McCaig, John Rauch, Msassyk, Serge Lapointe et Mingjue Helen Chen.

Olive Silverlock et Mia Mizoguchi (surnommée Maps, une nouvelle dans l'établissement) attendent toute les 2 dans un couloir de l'académie Gotham, en attendant d'entrer dans le bureau du proviseur Hammer. Ce dernier indique à Silverlock qu'elle sera la tutrice de Mizoguchi. Elles se rendent ensuite au cours de madame Isla Mcpherson qui enseigne l'histoire de Gotham. Les élèves doivent lire le journal intime de Millie Jane Cobblepot.

À la fin du cours, direction la cantine qui sert, entre autres, des gaufres liégeoises, puis plutôt que de se rendre à l'assemblée générale, Olive convainc Mia d'aller explorer la vieille chapelle et son beffroi. Par la suite, elles vont essayer d'y voir clair dans cette histoire de fantômes, dans la raison pour laquelle l'aile nord est inaccessible, et ce que cache un mystérieux symbole.

Dès la couverture, le lecteur a bien compris quel est le coeur de cible visé par ce comics : un lectorat plutôt jeune et plutôt féminin. Les responsables éditoriaux ont rajouté une pincée de Batman en situant cette académie, parce que tout ce qui est estampillé "Batman" se vend mieux que le reste. Oui, mais en feuilletant rapidement ce tome, le lecteur découvre des dessins très sympathiques.

Certes, Karl Kerschl a opté pour une esthétique un peu mignonne, les personnages disposant de visages à mi-chemin entre un dessin animé classique de Walt Disney et un manga plutôt de type shonen. Les adolescents mis en scène sont de fait immédiatement sympathiques, bien qu'ils semblent parfois souffrir de jeunisme. Ils disposent tous d'une apparence spécifique qui les rend facile à distinguer, même en ne les ayant vu qu'une fois, sans qu'ils n'en deviennent caricaturaux. Donc le lecteur s'attache rapidement à eux grâce à leur aspect mignon, sans être neuneu.

Le commando de metteurs en couleurs (2 ou 3 par épisode) pioche dans une palette un peu acidulée, sans en devenir criarde. À nouveau les couleurs sont très agréables, un peu chaudes, confortables. Sans être douillettes, elles créent une ambiance accueillante, dédramatisante. Par ailleurs, le lecteur ressent que ces artistes des couleurs n'ont pas chaumés, car chaque surface bénéficie d'une teinte et d'un éclairage spécifique. Ils n'ont pas tout barbouillé avec des dégradés à s'en faire péter les mirettes, ils ne saturent pas chaque pages avec des millions de teintes piochées dans le nuancier infini de l'infographie. Mais les compositions chromatiques sont sophistiquées et complexes, complétant les dessins au point d'en devenir une composante indispensable, tout en étant parfaitement intégrée.

Personnages sympathiques et angoisse limitée, couleurs chaudes et rassurantes, et pourtant dès la première séquence, le lecteur plus âgé y trouve son content. Les dessins présentent un niveau de détails impressionnants, et les éléments représentés n'ont rien de génériques. Par exemple, Olive et Mia sont assises sur 2 chaises en bois finement ouvragées, à haut dossier. Il y a des tableaux au mur, les panneaux de la porte sont tous représentés, et les appliques murales sont d'époque, tout cela en 1 seule case. Un rapide feuilletage montre que le niveau d'implication du dessinateur ne faiblit pas tout au long de ces 6 épisodes.

Au travers des différentes salles et des différents déplacements, Karl Kerschl arrive à donner une idée du site de l'académie, de sa géométrie, de ses différentes ailes. Il ne recourt pas à un plan masse, mais les déplacements des personnages participent d'une logique. Cela ne l'empêche pas d'utiliser quelques clichés bien pratiques, tels que des couloirs secrets d'une largeur telle qu'ils auraient du mal à passer inaperçus dans la réalité. Il y a également 1 ou 2 toiles d'araignée un peu trop judicieusement placées, mais pas plus que 2.

Les personnages dessinés par Kerschl sont immédiatement attachants, et leur expressivité génère une empathie instantanée chez le lecteur. le dessinateur croque des expressions de visage assez réussies, même si elles ne sont pas toujours nuancées. Il compense ce manque, par le biais d'un langage corporel et de postures qui étoffent la description de l'état d'esprit du personnage. En particulier, Mia Mizoguchi a un petit côté geek et aventureux qui la rend très curieuse. Ses attitudes rendent très bien compte de cet aspect de sa personnalité, avec un entrain communicatif.

Alors que le lecteur s'attend à ce que les créateurs de la série se servent de Batman et de sa mythologie comme béquille pour justifier l'existence de leur série, il découvre que Batman reste en arrière-plan, et que le projecteur suit les 2 amies, en éclairant au passage le responsable de l'établissement et quelques autres élèves. Évidemment Becky Cloonan et Brenden Fletcher introduisent d'autres élèves peu amènes vis-à-vis des 2 héroïnes, et Olive Silverlock ressent un mal être associé à sa perte de mémoire de ce qu'elle a fait l'état précédent, mais aussi à un traumatisme lié à sa mère.

Pourtant le lecteur n'éprouve pas l'impression de naviguer au milieu d'un ramassis de clichés ou de stéréotypes. Il n'y a qu'à regarder le menu de la cantine dans l'épisode 2 pour constater que cet établissement scolaire se distingue des autres. Au-delà de ce détail révélateur, il y a donc ce mélange architectural, entre gothique et fonctionnel, voire commun (le terrain de sport). le scénario évite également la simple enfilade de clichés pour proposer une histoire originale, et des personnages qui dépassent les attendus en la matière. Certes, il y a la jeune fille mal dans sa peau, mais son traumatisme (le mot n'est pas très fort) n'a rien à voir avec un simple problème dermatologique ou une haleine à faire fuir les prétendants. Certes il y a les pestes du lycée qui s'en prennent à elle, mais cette relation évolue rapidement, sans pour autant verser dans l'état inverse.

Olive Silverlock subit le contrecoup d'un souvenir qu'elle a refoulé, jusqu'à le bloquer entièrement. Elle refuse de jouer le rôle de victime et elle se montre assez aventureuse. Mia Mizoguchi est irrésistible, en jeune demoiselle geek et inconsciente des risques qu'elle prend. Pomeline Fritch est immédiatement antipathique, mais également attachante du fait d'une fragilité sous-jacente. le lecteur peut éventuellement s'agacer lors des rares apparitions de Bruce Wayne, devant son jeunisme, mais pour le coup le lecteur perçoit au travers de l'ambiance, qu'il s'agit avant tout de la manière dont Olive se le représente.

L'intrigue développe un suspense intriguant et bien construit. Elle laisse la part belle aux personnages, sans transformer le récit en comédie de situation, car il y a une dimension réellement dramatique. L'intersection avec la mythologie de Batman est solide, sans empêcher l'originalité de la série. le lecteur un peu regardant émet quelques réserves quant à l'utilisation d'un supercriminel récurrent de Batman (non ce n'est pas le Joker) dont le caractère est passablement modifié.

La couverture annonce un comics à destination d'un jeune lectorat féminin, avec de l'aventure, et l'ombre de Batman. Ayant décodé cette image, le lecteur de comics de superhéros se dit qu'il ne trouvera rien là-dedans, si ce n'est un produit préformaté. Surprise : Becky Cloonan et Brenden Fletcher utilisent les conventions de ce genre de récit, sans s'en tenir aux clichés habituels. L'intrigue fait la part belle aux personnages, et l'univers des Batman est utilisé avec parcimonie. Karl Kerschl réalise des dessins d'apparence jolie, mais sans se reposer sur les codes des mangas shojo. Ses cases comportent une bonne densité d'informations visuelles, des détails qui permettent aux décors d'exister, et une bonne vitalité pour les personnages.
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