C'était un dieu pour nous, et l'idée qu'il meure paraissait inimaginable. Peut-on vivre sans dieu ? Sans père ? C'était l'homme qui nous avait libérés du joug japonais, le fondateur du régime, notre père à tous. À l'annonce de sa mort, la vie s'est arrêtée dans tout le pays jusqu'aux funérailles grandioses, retransmises en direct à la télévision, quelques jours plus tard. Aux quatre coins de la Corée du Nord se sont déroulées des scènes d'hystérie collective : des soldats se roulaient par terre en larmes, les femmes hurlaient de douleur. Et la pluie ne cessait de tomber. À la télévision, la présentatrice expliqua que "même le ciel pleurait la disparition de notre grand dirigeant".
Alors je me suis mise à rédiger mon testament.
J'avais onze ans.
J'ai beau vivre à quarante kilomètres à peine de la frontière de barbelée qui me sépare de ma terre natale, je ne peux rien pour aider mon peuple, épuisé par la famine et la répression d'un pouvoir implaccable. La Corée du Nord est devenu un trou noir pour ses vingt-deux millions d'habitants, oubliés par le reste de la planète autant que par les Sud-Coréens, leurs frères de sang. Parfois, cette souffrance me submerge.
Comme mes frères nord-coréens n'ont pas le droit de parler, je vais écrire en leur nom. Un jour, j'en suis certaine, les deux Corées se réunifieront. Ce sera compliqué, mais nous y arriverons. Et, pour réussir nos retrouvailles, nous aurons besoin de l'aide du monde entier.