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Critique de Biblioroz


Deux époques, une même inquiétude quant à la pérennité de son habitation.
2016, Willa Knox espérait juste prévoir quelques travaux pour remettre en état la maison héritée de sa tante et dans laquelle elle a élu domicile suite à un changement de poste de son mari professeur en université et une perte de son emploi de journaliste. Mais le verdict de l'entrepreneur penche plutôt vers une démolition pure et simple.
1871, Thatcher Greenwood, jeune marié, rentre chez lui après une visite chez un constructeur. La maison construite par feu son beau-père montre un toit fatigué et des fissures multiples qui menacent fortement l'édifice.
Dans la cour, un hêtre et un chêne plantés par le beau-père de Thatcher traversent les siècles et contemplent les humains se confrontant à leur époque et faisant face aux aléas, aux évolutions, aux idées, aux injustices, à l'absurdité d'une société dont les êtres subissent bien souvent les mouvements.
Nous sommes à Vineland, petite ville du New Jersey créée en1861 par un certain Landis, autocrate aux idées utopistes prétendant établir une communauté parfaite. Alors qu'il fut un temps où la ville prospérait, celle-ci fait face en 2016 aux conséquences de l'endettement des foyers et présente de nombreuses maisons tristement décorées de panneaux de mises en vente. Puisque Barbara Kingsolver s'est arrêtée ici, profitons-en pour faire une ample et belle halte auprès de Willa et Thatcher.

Chez Willa, la vie contemporaine, qui s'exalte ou s'effraie devant les délires provocateurs d'un milliardaire candidat à la présidence, bat son plein. En bruit de fond dans sa maison ronronne le compresseur d'oxygène de son beau-père Nick, diabétique et infirme, qui donne l'occasion à l'auteure d'établir une sinistre mais réelle cartographie des droits à la santé américaine et surtout de son coût écrasant. Ce même personnage concentre aussi tout le côté conservateur poussé à l'extrême avec une tendance suprémaciste : « les hommes blancs riches sont censés mener le monde. »
Hormis son mari, vivent également sous son toit le bébé vagissant de son fils ainsi que sa fille de vingt-six ans, Tig, qui lutte contre le Tout Avoir et prône la sobriété. Sous ses dreadlocks bouillonne un sens des responsabilités hors du commun qui éveille en nous, instantanément, une forte estime pour ce tout petit personnage.

Dans sa maison bien féminine, Thatcher, professeur de biologie et physique, vit avec sa femme, sa belle-mère et sa belle-soeur bien plus aptes à discourir de robes et chapeaux que de science. Darwiniste convaincu, il est bridé par son employeur, le Professeur Cutler, hostile aux constatations scientifiques des chercheurs, fervent croyant et dont la Bible est la seule détentrice de la vérité à ses yeux. Les lois de la science se heurtent à l'étroitesse d'esprit de ce dernier.
La science est une révélation qui remet en question l'ordre établi, l'autorité en place, elle dérange. Pour fuir les idées corsetées de l'époque, il se sent davantage chez lui chez sa voisine, Mary Treat, au milieu des livres, dessins botaniques, plantes en pots et araignées bâtisseuses dans leurs bonbonnières. Son admiration pour cette femme est touchante dès qu'il s'aperçoit que c'est une extraordinaire femme de science qui correspond avec Charles Darwin et effectue des expériences sur des plantes carnivores et des tarentules.

L'auteure nous plonge avec passion dans la vie de ces deux ménages, prétexte à aborder l'opposition entre deux concepts, le conservatisme et le progressisme. La peur du changement, le renoncement aux croyances, le poids de la religion entravent les découvertes évidentes sur les origines et l'évolution des espèces. La rationalité ne fait pas la loi en 1871.
De nos jours, la course aux profits qui semble l'unique moyen de vivre laisse sur la route certaines catégories de personnes et épuise les ressources naturelles. N'y aurait-il pas une nouvelle route à prendre ? Mais l'attitude responsable vis-à-vis de la planète est loin de faire autorité en 2016.
Ces convictions, à plus d'un siècle d'intervalle, sont à contre-courant du monde dans lequel évoluent ces familles.
Certains et certaines symbolisent la soif de changement, la remise en question de la chose établie. D'autres se complaisent dans l'immobilisme, retranchés dans leur égoïsme, trop soucieux de préserver leur souveraineté et leur puissance.

Basculant régulièrement d'une époque à l'autre, l'auteure mène son sujet, ou plutôt une pluralité de sujets, lentement, tout en s'immisçant dans chaque foyer et ainsi nous faisant partager intimement leurs quotidiens respectifs. Avec Willa qui effectue des recherches dans l'idée de bénéficier d'une subvention pour réhabiliter sa maison, elle établit un pont entre les deux familles, les deux époques.
Sans prendre réellement parti, l'auteure expose les comportements, les pensées, les certitudes.
Passionnée moi-même de biologie, je me suis sentie en famille auprès de Mary Treat et de Thatcher Greenwood, en communion, lors des moments de complicité dans leurs recherches sur la faune et la flore. D'autre part, ma curiosité a été piquée à l'idée de partager le quotidien d'une famille américaine de notre siècle. Ce fut donc une lecture enrichissante, passionnante, et qui me conforte dans l'envie de découvrir tous les autres titres de cette fabuleuse auteure américaine.
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