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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 7 : Dans l'oeil du cyclone (épisodes 37 à 42) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 43 à 48, initialement parus en 2007/2008, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, avec des trames grises appliquées par Cliff Rathburn.

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- ATTENTION - Ce commentaire dévoile des points de l'intrigue du tome précédent. -

Le début de ce tome raconte ce qu'il est advenu de Philip Blake (le Gouverneur) après que Rick Grimes et les autres se soient enfuis de Woodbury. Il est retrouvé dans un état pitoyable par Bruce Cooper (son bras droit, un grand chauve) et Gabe (Gabriel Harris, son fidèle second). Bruce fait appel à Bob Stookey pour le prendre en charge. le Gouverneur finit par s'adresser aux habitants de Woodbury, en donnant sa version, ou plutôt son interprétation déformée et amplifiée du passage des habitants de la prison. Il doit aussi s'occuper du problème dentaire de sa fille Penny. Par la suite il doit encore gérer les conséquences de l'expédition de Glenn, Maggie, Tyreese, Michonne, Andrea et Axe, dans la base locale de la Garde Nationale.

L'assaut est donné sur la prison de la communauté de Rick Grimes, par les forces armées (avec même un tank) du Gouverneur. Malgré les jours écoulés depuis l'évasion de Woodbury, la préparation de la petite communauté laisse à désirer. L'agglutination de zombies contre les grillages se révèle plutôt efficace, et les tireurs d'élites dans les tours de guet aussi. Mais les forces du gouverneur disposent d'une puissance de feu supérieure, et elles surprennent les habitants à découvert, à l'extérieur de la prison. En outre, d'un côté, il y a des hommes prêts à en découdre et à tirer sur tout ce qui bouge (suite à la harangue du Gouverneur) ; de l'autre côté, il y a des individus moyennement armés, des femmes et des enfants. Tout peut arriver.

Depuis la découverte initiale de la communauté de Woodbury (et l'accueil reçu), le lecteur avait la ferme conviction que la confrontation serait inéluctable, sous la forme d'une attaque menée par les troupes du Gouverneur. La dernière page du tome précédent ne laissait place à aucun doute, avec un dessin en pleine page présentant un degré d'explicitation maximum, réalisé par des experts dans l'absence de nuance. Quel que soit son degré de cynisme et le nombre de divulgâcheurs qu'il a pu voir, le lecteur est pris aux tripes et éprouve une empathie pleine et entière pour les membres de la communauté de la prison. Il a appris à connaître les uns et les autres, à savoir qui est capable de se battre, qui ne l'est pas, et même quels combattants sont plus ou moins expérimentés. Il sait aussi par avance que Robert Kirkman respectera avant tout le principe de base de la série : seul Rick Grimes est irremplaçable, et encore pas forcément entier. Même en sachant qu'il y a encore plusieurs tomes à lire après, le suspense reste entier. le scénariste joue sur l'un des ressorts les plus basiques : qui va mourir ? En même temps, le lecteur sait que les morts ne reviendront pas à la vie (si ce n'est sous forme de zombie) et que tout ce qui a été patiemment construit pendant les tomes précédents peut se retrouver réduit à néant. Il sait aussi que les auteurs ne sont pas tendre avec leurs personnages, surtout si le niveau de sadisme peut augmenter les ventes, en choquant le lecteur se disant qu'ils n'ont quand même pas osé faire ça (et ben si, et même plus cruel encore).

Robert Kirkman fait monter la tension avec le premier épisode en montrant ce à quoi s'est occupé le Gouverneur. Au travers de ses actions, le lecteur mesure à quel point Philip Blake vit dans son propre monde, agissant suivant sa logique tordue, comme un psychopathe incapable d'empathie. Effectivement, ce premier épisode confirme les pires craintes du lecteur. Robert Kirkman construit avec application et conviction un individu sadique et immoral. le lecteur peut trouver qu'il ne s'agit que d'un artifice pour attester d'à quel point la communauté de la prison est en danger de mort. Il peut aussi se souvenir qu'à plusieurs reprises le récit s'est attardé sur le poids psychique que fait peser l'effondrement de la société et le regard permanent des zombies, et sur les différentes stratégies psychiques mises en oeuvre par les personnages pour vivre avec ce traumatisme, à commencer par Carol et Michonne, chacune de manière différente. Il est donc certain que le Gouverneur ne reculera devant aucune horreur pour exterminer ceux d'en face.

Effectivement, le massacre attendu a bien lieu, et bien pire que tout ce que le lecteur pouvait redouter. Robert Kirkman ne fait pas de quartier, et les dessins de Charlie Adlard sont toujours aussi factuels et efficaces, avec une dramatisation appuyée pour chaque horreur. La cervelle des zombies vole et coule. Les blessures par balle provoquent des épanchements plus ou moins importants de sang et parfois emmènent un petit bout de chair ou d'os du crâne. Les visages et les vêtements sont marqués par des tâches grises correspondant à du sang séché. Les bandages sont d'une propreté douteuse. Les individus tabassés ont un visage tuméfié et des dents manquantes. Ce n'est pas une partie de plaisir et le dessinateur ne fait pas semblant. Encore qu'il ne se complaise pas dans le détail photographique, il préfère les zones aux contours un peu flous qui donnent l'impression de la marque des coups ou de l'impact des balles.

Le scénariste a conçu une attaque à l'échelle des 2 factions en place, avec des revers de fortune, des limites de capacité d'attaque ou de défense, des stratégies plus ou moins pensées qui se heurtent à des impondérables imprévisibles. L'arbitraire règne en maître, et personne n'est à l'abri. Bien sûr le lecteur cynique peut se dire que Robert Kirkman fait le ménage parmi les personnages qui étaient autant de frein à l'évolution de la situation, au renouvellement de la dynamique de l'équipe, et c'est sûrement vrai. Bien sûr, il peut encore s'agacer de la mise en scène qui veut que chaque fois qu'il y a un blessé ou un mort dans l'équipe de Rick Grimes, la case correspondante est plus grande que les autres, jusqu'à aller à une pleine page, et l'angle de prise de vue est choisi pour son effet dramatique appuyé. Mais ce n'est pas nouveau dans la narration visuelle, le lecteur sait qu'il doit s'attendre à ses artifices. Même si les éclairs de lumière des canons des armes à feu à chaque tir semblent trop photogéniques pour être honnêtes, la mise en scène est d'une clarté remarquable et impulse un rythme de lecture soutenu et même haletant.

Quelles que soient ses réticences et la qualité de son regard critique, le lecteur se sent complètement immergé dans ce face à face de 2 communautés, sur le mode duel au soleil et il n'en restera qu'un. Même si les images jouent sur une dramatisation racoleuse, et le récit se complaît dans les morts choc et faciles, l'impact émotionnel est bien présent. Tant la mise en scène que l'enchaînement des différentes phases de l'affrontement sont bien pensés, dans un déroulement logique et implacable. le lecteur ressort de ce tome lessivé, effrayé par le déchaînement de violence aveugle, de sadisme barbare, de coût en vies humaines, de sentiment de perte d'amis qu'il avait appris à connaître. Même en ayant conscience que les auteurs jouent avec ses sentiments, et instrumentalisent la violence et les morts pour plus d'impact, il est impossible de décrocher de la lecture jusqu'à la fin, ou d'estimer que le fond de l'histoire repose sur intention narrative malhonnête.

Totalement abruti par la violence de l'affrontement, le lecteur peut ne pas remarquer que Robert Kirkman continue d'exploiter le filon de ses thèmes de prédilection. Il y a donc l'effet psychologique que peut avoir le fait de voir son quotidien partir en capilotade et de vivre sous le regard des morts à chaque instant, de ne plus pouvoir être en mesure de ne pas penser à la mort inéluctable, à la tombe qui nous attend tous. Avec ce traumatisme sans cesse rappelé, le lecteur finit par croire que les symptômes de folie de Philip Blake sont aussi ceux d'une adaptation à un monde qui s'est écroulé et dans lequel toutes les valeurs humanistes et morales n'ont plus de sens. Au travers de sa distribution de personnages, l'auteur montre d'autres formes d'adaptation, de la panique pour certains, jusqu'à la résilience pour d'autres. le lecteur peut à nouveau sourire devant le besoin irrépressible de certains de trouver du réconfort dans l'acte sexuel, d'éprouver la sensation de vie à travers l'accouplement. Mais dans ce tome, ce comportement n'est le fait que d'un seul couple, et reprend du sens, par comparaison à d'autres tomes où il était quasiment généralisé.

La dimension politique reste également très prégnante. Encore une fois se pose la question de qui décide, dans quelle condition et qui choisit pour le bien commun. Robert Kirkman donne une version simplifiée dans le mode de gouvernance pour la communauté de Woodbury. de par son charisme et ses résultats, le Gouverneur a su imposer sa position de chef et l'asseoir avec la fourniture d'une forme de pains et de jeux (Panem et circenses). Atterré, le lecteur observe les niveaux intermédiaires de la hiérarchie mettre tout en oeuvre pour conserver le statu quo, quelles que soient les aberrations dans le comportement de leur chef. Pour une fois, le scénariste fait dans le sous-entendu, en laissant le lecteur imaginer les motivations des sous-fifres. de l'autre côté, la remise en question de la survie de la communauté de la prison remet aussi en question l'allégeance des uns et des autres. La question se repose de savoir quelle est la priorité et quelle sont les comportements qui sont à même de servir cette priorité.

Lorsque l'avenir est incertain, que les acquis sont remis en cause, il devient légitime de remettre en cause le système, de savoir ce qui passe en premier, et d'adapter son comportement en conséquence. Alors même que cette réévaluation de la situation et des stratégies est légitime, sa mise en pratique fend le coeur du lecteur. Il voit que les investissements effectués sont remis en cause, que le chacun pour soi reprend le dessus, au risque de perdre tout le bénéfice desdits investissements. de façon inéluctable, l'intérêt personnel reprend le dessus sur l'intérêt commun, sur l'intérêt public. À nouveau, le lecteur apprécie les qualités de l'artiste qui compose des expressions de visages torturées rendant compte du tourment intérieur des personnages, de leur déchirement entre des valeurs incompatibles, des investissements émotionnels irréconciliables. Autant les gros plans du visage de Rick Grimes frappé de stupeur sont répétitifs et surjoués, autant ceux des individus devant choisir de rester jusqu'à l'issue (très) incertaine du combat, ou de fuir avec une réelle chance de réussite, sont convaincants et émouvants.

Robert Kirkman développe aussi la manière dont la force de conviction d'un individu peut emmener tout un groupe derrière lui. À nouveau les dessins de Charlie Adlard montrent toute la fougue de Philip Blake quand il s'adresse à groupe. Il y a là une critique acerbe de la propension de certains individus à adopter un comportement de moutons et d'abandonner tout sens critique pour croire en un meneur, en un individu qui leur propose une vision simplifiée et donc plus rassurante du monde. Loin d'être improbable, ce comportement évoque des expériences de sociologie comme celles de Stanley Milgram et Philip Zimbardo. L'auteur emmène sa vision jusqu'à son terme, indiquant que seul un acte irréparable permet de briser la mainmise de tels meneurs, en l'occurrence l'exécution abjecte commise par Lilly Caul. Dans cette peinture très sombre des pires travers de la condition humaine et de la fragilité de la démocratie, les respirations comiques sont rares et se comptent sur les doigts d'une main. Elles vont d'un gag récurrent ras les pâquerettes (un individu en train de se soulager, juste avant une découverte de taille, comme Axel dans le tome précédent), à un sarcasme de nature culturel, le Gouverneur méprisant face à Gabe qui ne comprend pas la référence à la légende allemande du joueur de flute de Hamelin (Der Rattenfänger von Hameln).

Le lecteur qui se prépare à aborder ce tome abandonne tout espoir. Robert Kirkman et Charlie Adlard mettent à profit toute leur science du sadisme pour faire subir les pires épreuves à leurs personnages. le plat de résistance de ce tome était annoncé dans le précédent : la confrontation entre les 2 communautés voisines. le lecteur sait très bien ce qui l'attend, et pourtant il n'y est absolument pas préparé. Les auteurs réussissent l'exploit de prendre le lecteur au dépourvu (même le plus blasé) dans le cadre pourtant très contraint d'une série mensuelle illimitée. Charlie Adlard continue d'affiner ses dessins en améliorant le dosage entre les détails et les zones plus brutes et primaires, oscillant entre les images à la dramatisation exagérée (on n'est jamais trop prudent pour s'assurer que le lecteur comprenne bien l'importance d'un événement) et l'efficacité primale. Robert Kirkman tire tout le profit possible du principe de sa série : seul Rick Grimes est assuré de survivre d'un tome à l'autre (et encore pas forcément en bon état), tous les autres sont des morts en sursis, ou des zombies en sursis. Sur cette trame aussi simple qu'efficace, les auteurs tiennent le lecteur en haleine sur le rebord de son siège, continuellement en train de se dire : non, ils ne vont quand même pas oser faire ça. Non seulement, ils osent, mais en plus c'est pire que prévu, et en prime ça offre un deuxième niveau de lecture dans des directions multiples.
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