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Critique de Sofiert




Pour faire un tour du côté des vers de terre, avec l'envie d'y retrouver l'enchantement provoqué par Les fourmis de Werber, je me suis tournée vers le roman de Gaspard Koenig.
Pas trop de déception niveau lombrics puisque l'auteur s'est appuyé sur une documentation solide et a fait relire son roman par des entomologistes. Ma curiosité est donc satisfaite par un certain nombre d'informations sur leur fonction régénératrice ou par ces descriptions plutôt réussies de la vie souterraine
« À quoi pense un ver de terre ? », se demandait Arthur en jetant son butin grouillant dans le seau. Il se trouve plongé dans un monde aveugle, sans odeur, ni forme, ni goût, ni son. le seul sens qu'il possède, le toucher, doit être formidablement développé. Anneau par anneau, le ver perçoit le moindre changement de température ou d'humidité. Toujours poussant, engagé tête la première dans les concrétions du sol, il balise son territoire selon des zones plus ou moins compactes, plus ou moins friables. Un mètre cube de terre représente un univers dont il connaît les cavités et les recoins. Il sait où il peut se faufiler et quand il doit rebrousser chemin. Il y retrouve même les petites chambres qu'il a aménagées, où il fait macérer ses propres excréments comme des fromages et où il se réunit parfois avec quelques amis choisis, peau contre peau, pour passer les saisons inclémentes. de même que les grands espaces avec leurs géométries figées nous ont appris à raisonner de manière causale, le ver pense selon les catégories de la masse et de la résistance. "

Mais le propos de Koenig n'est pas celui de Werber, et les vers ne sont que l'accroche d'un roman idéologique qui joue avec des questions de société. Sous le prétexte de l'écologie et d'une interrogation sur la méthode entre pragmatisme et idéalisme, l'auteur emprunte à Houellebecq une attitude désabusée et cynique, celle d'un observateur pédant qui prétend avoir tout vu et tout compris.
On comprend alors comment il plonge dans la caricature et transforme joyeusement ses deux personnages en transfuges de classe et eco-anxieux.

Ainsi Kévin, le naïf du Limousin, est bisexuel ( pour le clin d'oeil queer) et se voit traité comme un objet sexuel ( clin d'oeil masculiniste) par l'odieuse Philippine, sa partenaire commerciale qui va l'entraîner dans le greenwashing le plus odieux, avant de l'accuser injustement de viol ( nouveau clin d'oeil masculiniste). Arthur, le fils d'avocat parisien, s'en va jouer au néo-rural en Normandie sur la terre de ses ancêtres avec une compagne qui manie la truelle mais va rapidement l'abandonner pour retrouver les salons parisiens. Les femmes de ce roman accumulent d'ailleurs les clichés, soit comme manipulatrices, soit comme idiotes au grand coeur.
Sans trop se donner de mal, il est alors bien facile d'opposer la réussite totale de l'un, à grands coups de rencontres avec les puissants de ce monde, et l'échec de l'autre qui s'entoure de losers tous plus caricaturaux les uns que les autres.

Certes le ton est celui de la satire, et l'auteur semble n'épargner ni les politiques et les investisseurs, ni les écologistes et les idéalistes. A première vue , l'auteur ne ménage pas les opportunistes, les hypocrites, les menteurs, les corrompus qui se retrouvent massivement du côté des capitalistes ; tandis qu'il ridiculise la bêtise, l'aveuglement, la naïveté, la violence et le radicalisme du côté des écologistes ou des révolutionnaires. Après avoir qualifié les anarchistes de romantiques et de "retraités de la fonction publique soixante-huitards", il compare les zadistes à des" vers de terre semi-clochardisés ".
Arthur, qui a toujours adopté un comportement discret, se métamorphose, au mépris de la cohérence du personnage, lorsque son manifeste se répand sur les réseaux sociaux : " N'était-ce pas son rêve depuis le début : devenir un gourou ? "

L'auteur cède une fois encore à la facilité en choisissant le sensationnalisme : sectarisme et terrorisme deviennent les ressorts narratifs qui lui permettent de conclure par une révolution certes cinématographique, mais évidemment vouée à l'échec.
Sans craindre le ridicule, il s'engouffre dans un complot mondial où le mouvement Extinction Révolution aurait soigneusement recruté mille combattants par pays. Son scénario d'insurrection frôle la parodie lorsqu'il évoque des membres nommés les Predators et les Suppressors chargés d'empêcher l'apparition d'un gouvernement, alors que l'objectif final est de livrer l'humanité au chaos.
Quant au discours d'Arthur qui harangue la foule en déclarant :" Nous venons venger les abeilles, les papillons, les vers de terre", on ne sait plus si on est dans un film de Schwarzenegger ou dans un anime manga.
La mise en scène d'une révolution par Gaspard Koenig se résume à quelques victimes innocentes, des pneus crevés, un manque criard de préparation du style on a oublié d'acheter un lance-grenades. Bref, beaucoup de bruit pour rien...

Le recours à la dystopie politique permet ici de signifier la faillite des idéaux même lorsqu'il s'agit des plus nobles, et cela ne peut déboucher que sur un individualisme pleinement revendiqué. Tout comme le conservatisme pessimiste qui valide l'idée qu'il ne sert à rien d'espérer des transformations profondes.
Mis à part les descriptions de l'écosystème des vers de terre qui réservent quelques belles pages, le roman volette de gauche à droite, en pillant ici ou là des idées progressistes qu'il s'empresse de jeter à terre.
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