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Critique de SZRAMOWO


Il est une manie détestable qu'ont certains langues à vouloir s'approprier les noms propres, notamment les noms des villes, de certains pays : Warzsawa devient Varsovie, Varsovia, Warsaw ou Warchau, Frankfurt Francfort, Wroclaw Breslau, mais Los Angeles n'est pas concernée, ni Buenos Aires, ni Madrid, mais London devient Londyn ou Londres, Milano Milan ou Médiolanum.
C'est le sort de la ville de Wrocław, la Vratislavia des Romains, la Wrocisław des premiers Polonais, la Breslau de la couronne de Bohème, puis de l'Autriche, de la Prusse enfin de l'Allemagne avant de redevenir polonaise en 1945.
Le roman de Marek Krajewski joue de cette ambivalence de la ville qui se cherche dans un passé qui n'est pas et ne sera jamais polonais.
De même son héros Eberhard Mock, l'assistant criminel Mock, éprouve les plus grandes difficultés à se situer entre un père autoritaire, son ami Cornelius connu dans les tranchées de 1914-1918, son fantasme sexuel d'une infirmière rousse aux énormes seins qu'il cherche en vain dans toutes les femmes, ses fonctions d'assistant du commissaire Mülhaus qu'il remplit selon des normes bien à lui, très loin des standards administratifs allemands et son alcoolisme, contre lequel il lutte en récitant des vers en latin, qui lui permet de survivre :
« La régularité exemplaires de ces hexamètres latins parvint toutefois à mettre un certain ordre dans son cerveau meurtri qui, ce soir-là, ne flottait plus dans le liquide céphalo rachidien, mais dans la vodka à l'absinthe. »
C'est dire ! le personnage n'est pas sympathique, et au fur et à mesure de la lecture on se prend à le détester, à se demander comment il fonctionne, à lui en vouloir de son égoïsme, à redouter sa propension à tout foutre en l'air.
Il s'y emploie avec application, laissant derrière lui un champ de ruine sentimental et amical, tout en en étant conscient.
Pourtant, malgré les frasques de Mock, l'écriture s'organise, se discipline ou discipline le lecteur, l'apprivoise ou se laisse apprivoiser, l'intrigue prend corps en commence à passionner.
Des meurtres inexpliqués semblent impliquer Mock, sans que l'on sache pourquoi ni comment, il est mis en cause par un ou des tueurs en séries qui commettent des crimes qui présentent un carcatère rituel.
Beaucoup de personnes s'intéressent à Mock, mais lui suit le fil de son idée, ou plutôt le non-fil de sa non-idée.
« Comme c'est intéressant murmura Mock. Alors il ne va plus discuter avec moi des pommes que j'ai volées sur un étalage, il ne va plus me demander ce que je ressentais, quand à l'âge de six ans, j'aspergeais avec un siphon des passants sous ma fenêtre ? »
Mock fuit les approches psychologisantes de ses collègues et de ses supérieurs, il préfère sa méthode brutale et ne fait confiance qu'à ceux parmi ses collaborateurs qui la partagent, comme son adjoint Smolorz, même si parfois leur alcoolisme commun conduit au pire :
« Où étais-tu passé espèce de fumier ? grogna-t-il. Comment as-tu fait pour te soûler à ce point ?! Smolorz s'assit sur la cuvette en fixant le lambris marron de la paroi. Il se taisait. Mock l'attrapa par le revers de son veston, le souleva et le plaqua contre le mur. Il vit des yeux au blanc rougi, des narines humides et des dents de travers. Pour la première fois, il se rendit compte que Smolorz était laid. Très laid.
- Où étais-tu passé, fils de pute ? hurla Mock. »
La narration, qui se traine pendant les 100 premières pages, s'accélère soudain, les choses se précisent et la conspiration contre Mock se fait plus pesante, elle le rattrape.
Le manque de compassion du lecteur à l'égard du héros s'atténue, on s'identifie davantage à lui, on cherche à comprendre, on subit ses erreurs, sa volonté de refuser de voir les choses en face, on le plaint, même si l'on est parfois terrifié de son jugement sans complaisance à son égard :
« Allongé à côté d'Erika, Mock essayait de compter toutes les femmes qu'il avait possédées dans sa vie. Il ne le faisait pas pour inscrire sa nouvelle conquête dans son carnet intime. D'ailleurs, ce n'étaient pas vraiment des conquêtes ! le plus souvent, il s'agissait de prostituées, prises en état d'ivresse et sans grande satisfaction. Mock comptait les femmes qu'il avait eues et n'y trouvait pas son compte. Non parce qu'elles passaient dans son esprit en foules innombrables, mais parce qu'une bonne partie de ses rencontres sexuelles s'étaient déroulées lorsqu'il se trouvait en état d'ébriété. »
La réalité finira par le rattraper, il croisera le chemin d'une infirmière, mais pas celle de son fantasme d'infirmière rousse aux gros seins :
« L'infirmière Hermina emprunta le couloir qui menait à la chambre particulière du vieux Mr Mock. le froissement de sa blouse empesée à l'amidon et les cornettes de son bonnet redonnaient de la vie aux malades et les remplissaient d'espoir. Oubliant leur douleur, ils se redressaient dans leurs lits car ils savaient bien que le moment était proche où, par une seule piqure et un seul regard compatissant, l'infirmière de garde les ferait passer dans un état de calme et de quiétude. »
Le roman est construit sur une boucle de temps, il commence une certaine journée et se termine la même journée une heure après, entretemps, sous forme de témoignages, fragmentés par journées découpées en heures, se déroule l'action qui a eu lieu le mois précédent.
Cela peut désarçonner le lecteur, mais finalement, bribes par bribes, il découvre les tenants et les aboutissants de l'énigme, parvient à identifier les motivations des différents parties, jusqu'au dénouement, ou un dernier rebondissement l'attend.
Un livre difficile, auquel il faut s'accrocher pour le lire jusqu'au bout, mais un livre qui mérite le détour.

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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