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Critique de HundredDreams


Depuis longtemps, « La fabrique des salauds » faisait parti de mes envies de lecture, mais je n'avais osé ouvrir ce roman, impressionnée par le nombre de pages. Et oui, plus de mille pages. J'ai eu tord de repousser cette lecture à plus tard. Il faut seulement prendre un bon élan et avoir un peu de temps à soi. Certains passages sont pénibles à lire, mais essentiels pour qu'on ne perde pas de vue notre passé.
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« La fabrique des salauds » est une fresque historique, une saga familiale, une longue confession dans laquelle deux frères, Hub et Koja, s'aiment, se haïssent, s'entraident, se déchirent, se trahissent pour l'amour d'une femme Ev, leur soeur adoptive.
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Le premier mot qui me vient à l'esprit, c'est : énorme. Enorme vous l'aurez compris par le nombre de pages. Enorme surtout par sa densité, par son ampleur, sa profondeur.

Le deuxième mot qui me vient tout de suite après, c'est : instructif. Un voyage dans le temps et l'espace. On navigue dans des pans entiers de l'Histoire du XXème siècle, allant de la révolution russe en 1905 à Munich dans les années 1970, de Riga à Tel Aviv en passant par Berlin, Munich ou Moscou. Ce roman est le fruit d'un immense travail documentaire.

Le troisième mot est : effarant. Comment devient-on un criminel de guerre, un « salaud » ? Comment des nazis ont pu échapper aux procès et aux condamnations ? Comment les services secrets occidentaux et soviétiques ont-ils pu enrôler, à la fin de la guerre, des milliers de criminels nazis, mettant à profit leurs compétences, leurs savoir-faire, et leur expérience professionnelle ? Quelle ironie, quelle immoralité d'avoir recruté des nazis, qui n'ont pas changé de métier, mais seulement d'employeur !
De nombreuses fois, je me suis surprise à me dire : comment est-ce possible ?
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Le récit débute dans une chambre d'hôpital en 1974. Koja Solm, le narrateur, a reçu une balle dans la tête et entreprend de raconter son étourdissante vie à son voisin de chambrée, Swami, un jeune hippie pacifiste. Mais quelle vie ! Complètement incroyable.
C'est ainsi que l'auteur nous transporte au coeur de l'histoire, de l'espionnage et du contre-espionnage, de la révolution russe et des premiers massacres de 1905 à la prise d'otages israéliens à Munich en 1972, en passant par la création du parti national-socialiste, la montée du nazisme, la seconde guerre mondiale, la Shoah, la fondation d'Israël, la guerre froide, …
La trame du récit est adroitement conçue. Présentant son roman comme de longs monologues entrecoupés de retours dans la chambre d'hôpital, Chris Kraus rend compte d'un engrenage dans lequel est tombé Koja, faisant de lui un criminel, un monstre aux principes moraux bien fragiles.
« Mais parce que nous n'avions pas réussi à protéger nos vies du mensonge, alors que Hub, Ev et moi, je le jure, n'aspirions qu'à la vérité, le nanisme entra dans notre existence, puis la dépravation, puis le crime, et enfin la mort. Il est bien possible qu'il en soit allé de même pour la plupart des nazis. »
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Ce roman excelle pour décortiquer les émotions et les sentiments humains, analysant sans complaisance, la manière dont un homme ordinaire est devenu un homme méprisable, un salaud, un meurtrier. Koja pose un regard lucide sur sa vie, avec toujours, cette pointe de cynisme et d'ironie.
Alors qu'il est un individu haïssable, sans aucun remord, il est aussi un être sensible, qui sait aimer et qui peut se mettre en danger pour protéger les personnes qu'il aime.
L'auteur, sans jamais cautionner les actes de Koja, il est impossible de les justifier, ni de les absoudre, nous montre comment un homme ordinaire a appris à survivre, en « s'adaptant » à un monde en plein chaos. Une vie de mensonges, de manipulations, de secrets, de trahisons, de dangers, d'assassinats.
« J'ai toujours eu conscience de ce que j'étais devenu. Mais justement : c'est arrivé malgré moi. Par hasard. Par accident. À mon propre insu. J'ai réagi au déclin du monde, et non l'inverse. J'étais profondément sincère. Et aussi profondément hypocrite. »
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L'écriture est fluide, agréable à lire. le ton employé par Chris Kraus est très particulier pour un sujet aussi sensible et douloureux. Par ce procédé littéraire, entre sarcasme, insouciance et cruauté, l'auteur fait ressortir toute l'horreur, toute l'abjection d'une époque tourmentée.
Le lecteur navigue en eaux troubles, et ses émotions sont mises à rude épreuve, à la fois fortes et contradictoires. Illusions, désillusions. Humour, horreur. Sourires, soupirs. Amour, cruauté.
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Un roman ambitieux qui fait réfléchir, une intrigue captivante, dense, riche, dynamique sur un pan de l'histoire du XXème siècle. « La fabrique des salauds » entraîne avec force le lecteur dans est un récit criant de vérités.
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