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Critique de loeil_de_poups


Le style s'affirme, ou bien s'affine ; mais peut-être, s'effeuille-t-il, ou encore s'effrite-t-il, doucement... La tragédie des grands écrivains - ce que Kundera est, ne nous y trompons pas - est sans doute l'enfermement et la réduction progressive d'un immense talent à une prose unique, un style trouvé et plus jamais abandonné. Une solution de facilité.

Comme beaucoup, lecteur de Kundera, je ne pouvais manquer son nouveau roman : le titre, malicieux, rappelle "L'insoutenable légèreté de l'être" et nous annonce que le sujet sera à nouveau une glorification de ce qui nous paraît futile, dépourvu de sens, oublié dans la quête de vérité ; le contenu est masqué, dans la promotion du livre, par les thèmes que les médias citent (humour, légèreté, rêves, histoire et présent, du Kundera dans son essence). La longueur étonne, mais quand j'ai ouvert la première page, je me suis dit que cent quarante pages brillantes allaient m'obliger à pardonner notre expatrié d'avoir abandonné les digressions de dizaines de pages.

Hélas ! Une heure et demi plus tard, la dernière page tournée, que me reste-t-il dans les mains à part une oeuvre anodine ? On me dira : vous n'avez pas compris, l'insignifiance du roman que vous critiquez, c'est justement cette magie qui est dans l'existence, que l'on a perdue et que Kundera veut nous faire retrouver. Je réponds : Kundera n'y arrive pas. A glorifier l'insignifiance - et je le suis : la futilité, la lenteur, l'humour, l'absence de sens, des valeurs négatives depuis le XVIIIe siècle, qu'il serait temps de prendre vraiment en considération - Milan Kundera oublie l'essence du roman : sa trame d'abord, son langage ensuite, les réflexions qu'il suscite enfin. Car si "L'insoutenable légèreté de l'être" dissertait de longs moments sur la légèreté et la pesanteur, le kitsch, l'histoire, l'amour, la musique, ici, "La fête de l'insignifiance" fait court, va vite, suit un chemin sans travers. Réduire la longueur, est-ce pour autant être plus concis, plus fort, plus incisif ? Parfois oui ; ici, non. Au contraire, l'insignifiance, ce sont aussi des pages inutiles mais belles, et ces pages manquent à l'appel...

Il y a quelques pépites à garder, bien entendu. Milan Kundera trouve du souffle, des moments de plaisir où il s'amuse et nous amuse. Quand il parle de l'histoire, de Staline, il n'est jamais aussi bon - encore que l'on aurait pu espérer plus d'entrain, plus d'expansion. Quand il parle du rien, il dit beaucoup. Seulement, il n'en parle pas assez pour lui donner de l'importance. Ses phrases alternent entre une mollesse stylistique effrayante et quelques belles sonorités ; parfois, une, deux, voire trois séquences se chevauchent et me prennent à la gorge : des paragraphes sont magnifiques. Ils sont toutefois trop rares, et épars, comme ces aphorismes qui, s'ils caractérisaient son oeuvre, ne sont plus que des pensées préparées, plaquées dans une oeuvre dépourvue d'envie. A trop vouloir dire que l'insignifiance est dans l'existence, Milan Kundera sombre loin dans les travers de la facilité, comme si, installé sur un matelas forgé depuis quelques dizaines d'années, il s'y était sagement reposé sans jamais vouloir se renouveler. Quitte à s'enfoncer et se perdre.
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