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Critique de AMR_La_Pirate


C'est le premier livre de Milan Kundera que je lis…
Je découvre avec surprise que L'Ignorance a d'abord été publié en langue espagnole en 2000, puis en vingt-six autres langues avant d'être publié en français, sa langue originale, en 2003… Pour moi, Milan Kundera est un écrivain d'origine tchèque vivant et écrivant en France. Voilà un paradoxe que je ne m'explique pas.

Sur fond d'exil politique, de retour au pays natal, de recherche du temps perdu en quelque sorte, L'Ignorance démontre en phrases sobres que la nostalgie des exilés politiques se heurte, au moment du retour tant espéré, aux ressentis opposés de ceux qui ont fui le régime et de ceux qui sont restés. Ce livre entre idéal et réalité est, en effet, à la limite du roman et de l'essai philosophique.
Les deux héros principaux, Irena et Josef, sont presque des sujets d'expérience que l'auteur a placés dans deux situations d'émigré similaires à quelques variantes près ; de temps en temps, ce même auteur vient commenter les résultats de ses observations en faisant irruption dans la narration à la première personne.
Irena et Josef, chacun à leur manière, vivent la difficulté de réconcilier le présent du retour avec le passé de l'exil et du pays retrouvé. À tous deux, ce retour est imposé par la famille où les amis dès que les évènements historiques le rendent possible. Je m'étonne que Kundera emploie plutôt le terme d'émigré pour ceux qui ont choisi l'exil : c'est peut-être une formulation plus actuelle, plus moderne.
Irena et Josef doivent faire face à des situations qui mettent en avant un profond décalage entre les souvenirs fantasmés de leur pays, de leur famille ou de leurs amis et la réalité des confrontations du retour. Tout devient source de malaise : la langue toujours comprise mais trop longtemps inusitée, la ville de Prague livrée au tourisme, les maisons des émigrés confisquées puis rendues aux parents qui se les sont appropriés comme une sorte de dédommagement d'avoir du subir la honte de la fuite de leurs proches… Et puis surtout, leur expérience d'émigré n'intéresse personne !

Ce malaise semble inéluctable ; en effet la référence à L'Odyssée d'Homère et au personnage d'Ulysse inscrit L'Ignorance dans une filiation littéraire avec un texte mythique et fondateur. Ulysse, libéré par Calypso, reprend son errance et entame son long voyage de retour vers Ithaque ; il raconte des épisodes de son périple à la cour des Phéaciens, où il est particulièrement bien reçu et où sa personnalité intrigue ; par contre, lors de son retour chez lui, personne ne va véritablement s'intéresser à ce qu'il a vécu durant son voyage. de même, Irena et Josef ont suscité une forme d'intérêt en France et au Danemark en qualité d'émigré fuyant le régime tchèque, mais cet intérêt a décru quand leur pays d'origine a retrouvé un meilleur équilibre politique. Comme Ulysse, ils ont du faire preuve d'adaptation au cours de leur exil : par exemple, Irena déclare avoir exercé au moins sept professions différentes. Enfin, ils ont réussi à recréer une forme de bonheur et d'équilibre tout comme Ulysse avait su profiter de son séjour chez Calypso…
Enfin, tout comme le monde homérique à la fois poétique et littéraire peut être lu comme une histoire des représentations collectives car Homère recrée le passé, sans refléter une période en particulier, les expériences vécues par les personnages d'Irena et de Josef ont valeur générale de preuve par l'exemple.

Milan Kundera va très loin dans son étude ; le récit part dans trois directions à travers les deux personnages étudiés d'abord séparément puis ensemble. Mais même le rapprochement entre eux ne fonctionne pas, se réduit à un moment de sexe, entre obscénités et alcool. La fin, que je ne dévoilerai pas ici, est aussi lourde de sens avec deux personnages féminins un moment fusionnés dans l'imaginaire du lecteur puis opposés dans l'ignorance réciproque de leur vécu.
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