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Critique de jongorenard


J'étais jeune adulte quand j'ai lu pour la première fois "L'insoutenable légèreté de l'être". À l'époque, je ne pouvais m'empêcher de penser à la beauté poétique de son titre et j'en avais apprécié la lecture, en particulier la portée philosophique des thèmes traités. Cette nouvelle lecture m'a également plu notamment pour la façon nuancée dont ce roman dépeint l'amour.
L'histoire, qui se déroule principalement à Prague à la fin des années 1960 et au début des années 1970, décrit la vie d'artistes et d'intellectuels tchécoslovaques en partie entre le Printemps de Prague et l'invasion des troupes du Pacte de Varsovie. Elle se concentre sur un quatuor de personnages composé de Tomas, un célèbre chirurgien, de sa compagne photographe Tereza, de Sabina son amante peintre et de l'amant de Sabina, Franz, un professeur d'université. Tomas a deux centres d'intérêt : son travail et les femmes. Il tombe amoureux de Tereza, mais considérant que le sexe et l'amour sont deux notions distinctes, il est incapable de renoncer à ses maîtresses, ce qui rend Tereza extrêmement jalouse. Cependant, en raison de sa faiblesse, cette dernière ne peut se révolter et garde ses tourments pour elle en faisant semblant de ne pas soupçonner les tromperies de Tomas. Sabina est une idéaliste, un esprit libre. Elle a une brève liaison avec Franz, dont elle tombe follement amoureuse, mais n'ayant pas le courage d'établir une relation sérieuse, elle s'enfuit, le laissant seul, sans même un mot d'adieu. Franz poursuit le souvenir de Sabina et c'est ce qui le mènera à une fin tragique. On rencontre aussi Simon, le fils de Tomas qu'il n'a pas reconnu et Karenin, la chienne de Tomas et Teresa, sorte de trait d'union et de réflexion pour le couple.
L'intrigue est constamment accompagnée de réflexions philosophiques. Ainsi, des idées de "L'insoutenable légèreté de l'être" tournent autour du thème de "l'éternel retour" de Friedrich Nietzsche. Peut-on d'ailleurs trouver ouverture de roman plus merveilleusement philosophique que celle-ci ?
« L'éternel retour est une idée mystérieuse, et Nietzsche, avec cette idée, a mis bien des philosophes dans l'embarras : penser qu'un jour tout va se répéter comme on l'a déjà vécu et que cette répétition va encore indéfiniment se répéter ! Que veut dire ce mythe insensé ? »
Un mythe insensé, voilà une réponse succincte à l'un des concepts philosophiques les plus difficiles, tout en ayant la sagesse de l'écrire avec ses propres mots. Cette explication sert d'introduction au personnage de Tomas et il en est ainsi tout au long du récit, un commentaire philosophique précède ou suit les décisions des personnages. Tout en se faufilant dans la vie de ses quatre personnages principaux et dans leurs réflexions individuelles sur divers sujets, le récit parvient à saisir les affres d'une nation prise dans l'étau soviétique, tout en s'égarant régulièrement dans un fil de méditations philosophiques. S'il y a une faiblesse à ce procédé, elle se situe dans le fait que le roman a une structure fragmentaire et prend parfois la forme d'exercices théoriques avec des personnages incarnant de grandes idées philosophiques. Et si Kundera parvient à toucher l'esprit et le corps, le coeur reste souvent froid. Il y a un sentiment d'artificialité si l'on s'attarde sur la construction du livre, comme si l'auteur ne faisait qu'incarner des idées avec des marionnettes à des fins d'illustration. Car le roman traite de nombreux thèmes, une sorte de roman à thèse, mais si ouvert, si souple et si mouvant qu'il peut facilement se plier à la forme que prend l'esprit de chaque lecteur, d'où des interprétations différentes selon la nature de chacun. Certains verront dans ce livre un récit de rencontres amoureuses, d'autres le roman d'un intellectuel exilé et engagé contre le communisme, d'autres encore une méditation sur la liberté individuelle. Pour ma part, j'y vois plutôt un texte sur la tyrannie, usurpée ou légitime, grande ou petite, celle que l'on endure ou celle à laquelle on résiste, celle à laquelle on se soumet par amour ou celle qu'on maintient à distance, la tyrannie du kitsch ou celle des passions. Milan Kundera critique le kitsch, responsable selon lui d'une perte de dimensions dans l'existence humaine qui devient alors d'une insoutenable légèreté. Kundera l'oppose au doute. « Au royaume du kitsch totalitaire, les réponses sont données d'avance et excluent toute question nouvelle. Il en découle que le véritable adversaire du kitsch totalitaire, c'est l'homme qui interroge. » le livre cherche à explorer d'autres questions qui tournent autour d'idées contraires telles que la vérité et le mensonge, l'amour et la haine, la liberté et l'esclavage, la lourdeur et la légèreté.
J'ai été sensible lors de cette nouvelle lecture à la façon nuancée dont ce roman dépeint l'amour. le récit reconnaît et représente la beauté de l'amour tout en montrant à quel point il est de nature psychologique et donc manipulable. Milan Kundera peut décrire les relations amoureuses avec des formules originales ou des répliques surprenantes. « Cette danse semblait proclamer que son dévouement, cet ardent désir de faire ce qu'elle lisait dans les yeux de Tomas, n'était pas nécessairement lié à la personne de Tomas, mais qu'elle était prête à répondre à l'appel de n'importe quel homme qu'elle eût rencontré à sa place. » Mais Kundera peut également décrire l'amour de manière ordinaire. Que se passe-t-il lorsque Tereza prend sa valise pour rejoindre Tomas ? Y a-t-il de la musique dans l'air, des papillons qui volent, des oiseaux qui chantent ? Non, « ses entrailles [sont] prises de gargouillements » dès qu'elle voit son amoureux, car « toute à l'idée de son audacieux voyage elle en [avait oublié] de manger. » Au-delà de cette trivialité, trouver l'amour ne résout pas miraculeusement tous les problèmes. L'amour s'accompagne souvent de jalousie, de méfiance, de mensonges, de tromperie, de douleur. Pourtant, les amants y trouvent une certaine force et font tout ce qu'ils peuvent pour s'y accrocher. Marie-Claude réplique ainsi à son mari en souriant : « L'amour est un combat. Je me battrai longtemps. Jusqu'au bout. »
Milan Kundera lie deux histoires d'amour, celle de Tereza/Tomas et celle de Sabina/Franz, en examinant comment l'amour peut soit nous élever, soit nous alourdir. Sans donner de réponses définitives, les personnages s'interrogent sur cette ambiguïté. La légèreté est-elle positive, la lourdeur négative ? Ou bien est-ce le contraire ? Si Sabina semble poursuivre une quête de légèreté, l'attitude de Tomas est bien plus équivoque. Finalement, ni la lourdeur, ni la légèreté ne sont essentiellement positives et, par conséquent ni la compassion ou la trahison, la fidélité ou l'infidélité. L'auteur nous laisse avec beaucoup de questions existentielles troublantes à méditer sans chercher à y répondre une fois pour toutes. Peut-être parce qu'il n'y a pas de réponses claires à ces questions.
La vie est en fin de compte un jeu de hasard. On ne sait pas ce qui va se passer. On peut être indécis, s'efforcer de trouver un sens aux fouillis de notre vie, la mener avec légèreté ou lourdeur, le plus important étant en définitive de la mener en sorte qu'on puisse souhaiter qu'elle se répète éternellement. On peut ainsi s'accrocher à l'amour, qu'il soit platonique, romantique, sexuel, spirituel et alors peut-être en comprendre sa complexité et sa beauté.
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