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Critique de jlvlivres


« Larmes Blanches » de Hari Kunzru (2018, JC Lattès, 378 p.) traduit par Marie-Hélène Dumas est un roman à lire, surtout en ce moment d'élections américaines. Oh rien de foncièrement politique, si ce n'est en partie une histoire de recherche des racines du blues, de l'authentique blues du Sud, autour de Jackson, Mississipi.
Tout part de Seth, jeune paumé sans le sou, qui rencontre Carter Wallace à l'Université. Tout les sépare. Seth ne sait que bricoler du matériel d'enregistrement, des micros directionnels « des micros statiques AKG C12's à quinze mille dollars pièce » et autres amplis à lampes. Et il enregistre « sur bande quart de pouce » et filtre ensuite tout ce qui produit du son autour de lui. « Guglielmo Marconi, l'inventeur de la radio, croyait que les ondes sonores ne mouraient jamais complètement, qu'elles persistaient, de plus en plus faibles, masquées par le bruit quotidien du monde. Marconi pensait que s'il avait pu inventer un micro assez puissant, il aurait pu entendre les sons des temps anciens. le sermon sur la montagne, les pas des soldats romains défilant sur la Via Appia». C'est comme cela qu'il va trainer dans les squares de New York, Washington Square ou Tompkins Square, tous deux dans Manhattan, à côté de East Village, du côté des avenues à lettre (A, B, C, D). Les gens jouent aux échecs et les noirs de la musique pour gagner quelques sous. Il vit en colocation avec Carter Wallace, descendant de la compagnie Wallace Corporation, « empire de « gestion logistique de dix milliards de dollars » actuellement présidée par Cornelius Wallace, le frère ainé de Carter. Ce denier entretient son frère Carter et le laisse faire ce qu'il veut de sa vie, tout comme sa soeur Leonie dont « la part d'action est évalué à quatre-vingt millions de dollars ». SI ce n'est pas beau la fratrie familiale, où l'un récolte ce que les autres ont semé, et permet aux fleurs sauvages de pousser. La compagnie est d'ailleurs devenue la « Wallace Magnolia Group », « ils fournissaient des équipements de déblayage, construisaient des autoroutes, posaient des pipelines. Blocs WC en Afghanistan. Pistes d'atterrissage et entrepôts militaires ». On voit tout de suite en Cornelius un « important donateur républicain qui apparaissait sur les photos de presse avec des sénateurs et des membres du clan Bush ». Il n'y a pas de petit profit, mais que des grandes occasions de s'enrichir.
Ils ont leur studio dans « un bâtiment de Williamsburg, au bord de l'East River » tout de même. La soeur, elle, vit à Tribeca, au sud-ouest de Manhattan, c'est bien plus chic. Quand ils se déplacent, ils partent de Teterboro, aérodrome semi privé à une vingtaine de kilomètres seulement du centre d'affaires. Cela évite de côtoyer la foule des touristes, voire des émigrants de JFK ou de la Guardia.
Leurs loisirs, c'est de collectionner des vieux disques des années 20. Disques en cire, des 78 tours, avec des labels disparus, mais dont ils ont la liste des productions, chez Paramount ou Victor pour les plus connus, Okeh, Gennett, ou Gamages pour les autres. Et ils échangent ou achètent à bons prix à d'autres collectionneurs, en tenant compte de l'échelle de « Vintage Jazz Mart ». Seth, lui enregistre tout ce qui passe, et fini par enregistrer un chanteur dans Washington Square. « Oh oui, vraiment, un jour, j'm'achèterai un cimetière. Et ce jour-là, je mettrai tous mes ennemis à terre. / M'ont mis aux ordres d'un homme, Cap'tain Jack qu'ils l'appelaient. Il a gravé son nom tout au long de mon dos ».
Remixage et filtrage dans le studio. Finalement cela donne un enregistrement quasi d'époque, que Carter attribue à un dénommé Charlie Shaw. le nom est fictif, de même que l'enregistrement. Mais cela déclenche une tempête chez les collectionneurs. Tempête aussi dans le roman, car tout s'accélère. Rencontre dans des endroits douteux, qui puent la pisse et la misère. Meurtres ou incendies d'appartement, rendez-vous dans un quartier du Bronx pour Carter, dans Hunts Point, juste en face de Rikers Island, ile à la prison célèbre. Bref, Carter est sérieusement tabassé et sort du roman dans un état comatique profond. Restent Seth et Leonie qui vont partir à la recherche du dénommé Charlie Shaw. Parcours à la recherche du disque « Key & Gate, label KG 25806, Charlie Shaw, “Graveyard Blues” » dont on ne connait qu'une face.
Deux virées dans le Sud profond, Virginie, puis Tennessee et Mississippi. Routes poussiéreuses, maisons en bois, « au-dessus du comptoir, panneau « Réservé aux Blancs » ». et ce qui devait arriver, arrive. « le policier nous a intercepté quand nous quittions Clarkdale ». Après le permis et la carte grise : « Je vais te poser une question, mon garçon. Es-tu un défenseur des droits civiques ? ». Quelques chapitres plus loin, Seth est confondu avec un repris de justice. Scènes ordinaires de la police blanche.
Présenté comme étant « l'histoire inique de l'appropriation par les Blancs de la culture noire » par le Washington Post, on peut alors s'étonner de l'absence du point de vue des Noirs. Ils n'apparaissent pas dans le livre, qui ne contient que les propos d Seth Carter et sa soeur Leoni, plus quelques personnages secondaires, tels Chester Bly, collectionneur à ses heures. Puis, on se dit que finalement, c'est sans doute volontaire de la part de l'auteur. Puisque les Blancs ont confisqué la culture, autant avoir aussi confisqué la parole. D'ailleurs la ségrégation toujours latente dans le Sud permet elle cette parole. Ce n'est pas ce que laisse supposer les interventions de la police, fussent elle à l'encontre de Seth. Ce n'est pas non plus l'opinion qu'en ont, ou qu'en ont eue, Cap'tain Jack et Cap'tain Jim., du moins dans les paroles du « Graveyard Blues » de Charlie Shaw.
On a fait dire beaucoup de choses à la sortie du roman aux USA. En particulier dans les milieux des amateurs de blues. Certes, Kunzru se sert beaucoup de références à des paroles de blues ou d'auteurs. Citant volontiers, ou parodiant Robert Johnson, qui a appris à jouer de la guitare après avoir vendu son âme au diable. D'ailleurs, le symbole du cimetière est également tiré de Robert Johnson « you may bury my body by the highway side, / So my old evil spirit can get a Greyhound bus and ride». Hélas « le blues est devenu une écriture vidée de sens dans la publicité : un homme sous une véranda avec un harmonica, une goutte coulant sur une bouteille ». Par ailleurs, le blues n'est pas originaire que du Sud. Ainsi, le jeu de batterie de John Bonham n'est pas lié à « When The Levee Breaks » racontant les crues du Mississippi en 1927, qui fit plus de 200 morts et plus d'un demi-million de personnes déplacées. D'ailleurs John Bonham n'était pas encore né. Reste que Hari Kunzru raconte dans « The Guardian » son tour, à l'époque où il n'était pas encore marié à Katie Kitamura, sur la Piste Natchez entre Nashville, Tennessee et le Mississippi. Les églises baptistes qui sonnent le tocsin au passage des automobiles, les bouteilles vides de bourbon Four Roses à la maison de William Faulkner, la mousse espagnole (Tillandsia usneoides) qui pend des arbres.
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