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Critique de myrtigal


Etienne de la Boétie, passé à la postérité pour sa célèbre amitié avec Montaigne, que l'on a bien évidemment tous en tête, est devenu un peu moins célèbre que son grand ami car mort trop jeune, à 33 ans, mais il fut tout de même dans ce cours laps de temps sur terre, magistrat et homme de droit. Toutefois ce texte, qui est son unique et lui a valu sa renommée posthume, fut écrit bien avant à seulement 18 ans !
Car selon Montaigne, c'est en 1548 lorsqu'une révolte populaire contre la gabelle éclate et qu'elle se trouve réprimé dans le sang, que La Boétie aurait commencé à écrire son discours.
Dans ce texte, somme toute très court, une quarantaine de pages à peine, ce qu'il cherche à comprendre et à expliquer c'est pourquoi nous, les Hommes, acceptons-nous l'asservissement. Oui, pourquoi ? Vaste question qui pourrait remplir une bibliothèque entière, mais à laquelle La Boétie tente d'apporter quelques réponses. Il va le faire en puisant ses source de réflexion principales dans l'Antiquité. D'ailleurs ce texte aurait pu s'intituler « Discours de la servitude volontaire dans l'Antiquité » tant elle est omniprésente ! Si c'est un procédé qui a l'avantage de fournir un grand nombre d'exemples et de conférer à ses observations une aura intemporelle, il a en revanche l'inconvénient de devenir rapidement obscure pour quiconque n'aurait pas, comme lui, une vaste culture antique. Ce qui fut en l'occurrence mon cas, et bien que La Boétie explicite plutôt clairement ces anecdotes, j'ai déploré qu'il n'ait pas utilisé plus d'exemples contemporain pour étayer ses propos (car ce n'est pas les tyrans qui doivent manquer en ce milieu de XVIe siècle dans le monde !).
Quoi qu'il en soit de tous ces exemples greco-latins, il en tire un certain nombre de pistes : tout d'abord — et c'est ce que j'ai trouvé le plus intéressant —, il y a selon lui trois types de tyrans. Celui parvenu par les armes, celui parvenu par l'hérédité et enfin celui parvenu par élection. Encore une fois j'ai eu l'impression qu'il parlait davantage les deux premiers cas que du dernier, j'ai trouvé ça dommage car en tant que lecteur d'aujourd'hui c'est ce dernier qui nous parle le plus.
Quoi qu'il en soit, dans le fond, les conclusions qu'il en tire s'appliquent aux trois formes.
Et quelles sont donc ces conclusions ?
La Boétie estime que si les tyrannies perdurent et prospèrent c'est principalement du à l'habitude qui se forment chez les populations asservis. Autrement dit une forme d'accoutumance qui endort et ramollit toute velléité de résistance ou de réveil. Et pour peu que le régime tyrannique dure sur plusieurs générations, voilà toute notion de liberté réelle perdue, oublié dans le fond des âges, et la servitude transmise, collectivement et volontairement acceptée. Dans un phénomène paradoxale la masse en théorie plus forte que quelques uns, voit sa volonté faiblir et annihilée. Et effectivement, c'est à la fois très juste et très vraie, l'habitude chez l'homme, qu'elle soit collective ou individuelle, est la source de bien des maux et ce qu'il y a de plus difficile à corriger. L'aborder ici du point de vue de la société est original pour le siècle je trouve, en plus d'être extrêmement pertinent.
Cela dit, La Boétie nous montre que le pouvoir des tyrans repose sur de fragiles fondations ; l'adhésion par la peur (ou le mensonge), la longévité par l'habitude, l'abrutissement par les jeux et les plaisirs, des êtres pas ou peu aimé, toujours craint et bien moins protégé qu'on le croit. Finalement ce que l'on comprend entre les lignes et qui passe quasiment pour évident c'est qu'il suffirait de se soulever.
La Boétie ne le dit pas vraiment pas plus qu'il ne propose d'alternative, car ce texte est effectivement comme son titre l'indique, un discours, un plaidoyer plus qu'autre chose, l'amorce à une réflexion et à un recul sur notre propre condition.
La Boétie estime, tout comme Rousseau, que la liberté est l'état naturel des hommes, alors forcément toute entrave y serait par définition contre nature et effectivement on peut se demander si le fait même d'avoir des dirigeants, aussi lointains soient-ils de nos vies quotidiennes, n'est-ce pas une forme d'asservissement ? Je dis volontairement dirigeants et non tyran comme La Boétie car beaucoup de ce qu'il décrit et dénonce s'applique aisément de nos jours à ceux que l'on appelle simplement « dirigeants » ou « présidents ».
C'est pourquoi c'est un texte dont la résonance est intemporelle, hormis les références antiques, sa substance et les des idées qui y sont développées sont terriblement actuelles, et le seront, je pense, tant que les hommes vivront sur terre.
On lit et l'on ne peut s'empêcher de penser, pourquoi acceptons par simple habitude, par résignation, par passivité, le pouvoir de ceux qui ne nous font aucun bien ? Et combien de dictateurs dans le monde pourraient être renversés en moins de temps qu'il ne faut pour le dire si seulement leurs peuples se rendaient compte qu'ils leur sont supérieurs en force et en nombre ? C'est vertigineux.
Bref, c'est un texte qui ouvre une quantité de réflexion sur la nature de l'homme et sur nos sociétés, un texte passionnant, fondateur et que tout citoyen éclairé, ou qui veut l'être, devrait lire !
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