- Allons, maman, qu'espérez-vous de moi ?
Elle prit la vigoureuse main brune de son fils et la serra dans sa longue main fine.
- Que tu ne te conduises pas comme un imbécile. N'est-ce pas beaucoup espérer d'un homme que d'en espérer seulement cela ?
- C'est même en espérer trop.
Renny rit de son rire clair et aigu.
- Je suis content dit-il. Cela me plaît de ressembler à Gran.
- Pourquoi ? demanda Mary un peu sèchement.
- Parce que tout le monde a peur d'elle.
Elle n'avait jamais souhaité remplir les fonctions de gouvernante et si elle avait pu envisager une autre façon de gagner sa vie, elle l'aurait, certes, choisie sans hésiter, mais les débouchés étaient rares pour les femmes au XIXème siècle. Tenant compte de son ignorance et de son manque d'expérience, le seul travail dont elle se sentît capable était de s'occuper de jeunes enfants. Et le fait qu'elle n'en eût guère approchés ne la troubla pas un instant ; ils n'étaient à ses yeux que d'innocents réceptacles qu'elle emplirait d'une science puisée dans des manuels ou sur des cartes multicolores. Elle leur ferait apprendre par cœur des poèmes, des listes de pays étrangers avec leurs capitales, leurs rivières, leurs caps, leurs montagnes et leurs richesses naturelles. L'important était de trouver une situation : une fois assurée de celle-ci, elle se sentait de taille à l'affronter. En vérité, elle n'avait pas le choix : elle devait trouver du travail ou mourir de faim.
Ils dansèrent jusqu'à l'extrémité la plus obscure du salon et Mary sentit les lèvres de Philip sur ses cheveux, l'étreinte plus vigoureuse de son bras autour de sa taille. Elle aurait voulu que le reste du monde restât lointain, lui abandonnât ce court instant, mais l'écho du piano s'était glissé dans toute la maison tant Lily avait fini par mettre de passion dans son jeu. La porte s'ouvrit et Adeline apparut en robe de chambre.
Musicienne et danseurs s'arrêtèrent.