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Critique de colimasson


On a souvent pris Lacan pour un con. Je crois même qu'on lui a souvent dit : vous êtes un con. Manque de bol, Lacan n'avait pas de problème avec la connerie. Il avait plutôt un problème avec la débilité de la vérité, dont le symptôme prend forme à travers l'administration du savoir. Ajoutons que « la vérité de la connerie n'est pas sans poser la question de la connerie de la vérité ».

La meilleure réponse que l'on puisse donner à une question, c'est encore de se contenter de sourire bêtement. Lacan a été obligé de parler et de jouer le jeu du savoir pour montrer que « la seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien ». Qu'on dise suite à cela que Lacan est con, rien de plus normal. Dès que l'on parle pour expliquer quelque chose, on joue le jeu de la connerie. C'est un sacrifice de soi – d'autres pourront le recevoir sans jamais être obligé de le transmettre à leur tour : ils seront sauvés.

« Je ne dis pas – Avez-vous jamais rien appris ?, parce que apprendre, c'est une chose terrible, il faut passer à travers toute la connerie de ceux qui vous expliquent les choses, et ça, c'est pénible à soulever, mais – Savoir quelque chose, n'est-ce pas toujours quelque chose qui se produit en un éclair ? »

D'un autre à l'autre, finit-on jamais par atteindre l'Autre ? Qu'en sait-il de nos destinées, le grand Autre ? Lorsqu'il ne nous en dit rien (à nous autres, les névrosés classiques), nous le hélons à travers cieux et remparts. On le provoque : c'est la révolution sous toutes ses formes mais alors, soit vous considérez que l'Autre est le sujet supposé savoir ce qu'il en est de votre existence et alors, si vous le butez, vous perdez tout, soit vous considérez qu'il en sait beaucoup moins que vous et alors, c'est l'enfer de la solitude. On finit toujours, à plus ou moins long terme, à revenir à la croyance, sinon on perd tout.

Lacan est l'extrémiste des idées qui ne se situent nulle part. Il lui importe moins de se positionner quelque part que de soulever les questions qui se dissimulent derrière les certitudes. Socrate de l'époque moderne, Lacan renvoie chacun à ses contradictions au lieu d'essayer de les résoudre par des laïus révolutionnaires.

« J'ai dit que l'Autre sait, comme c'est évident puisque c'est la place de l'inconscient. Seulement, il n'est pas un sujet. La négation dans la formule il n'y a pas de sujet supposé savoir, si tant est que j'aie jamais dit ça sous cette forme négative, porte sur le sujet, non pas sur le savoir. »

La structure parle, on peut l'écouter. Elle ne dit pas la vérité – la vérité, c'est seulement que la structure parle. On ne peut donc rien en faire sinon comprendre le piège dans lequel nous menaçons tous de choir, nous autres êtres symboliques, à n'avoir pu devenir autres qu'à condition d'être intronisés par un autre à jamais mystérieux à lui-même.

« Cette altérité du signifiant à lui-même, c'est proprement ce que désigne le terme du grand Autre […]. Si nous l'inscrivons, ce grand Autre, comme marqué du A, si nous en faisons un signifiant, ce qu'il désigne, c'est le signifiant comme Autre. le premier Autre qui soit, le premier rencontré dans le champ du signifiant, est Autre, radicalement, c'est-à-dire Autre que lui-même, c'est-à-dire qu'il introduit l'Autre comme tel dans son inscription, comme séparé de cette inscription même ».

Ceci n'est pas une branlette intellectuelle dans le sens classique du terme. C'est une branlette dans toute sa simplicité, et quiconque n'en apprécie pas les plaisirs devrait laisser les enthousiastes de la vie se réjouir des quelques menus plaisirs qu'elle prodigue en compte-gouttes.

« le feu au derrière, il n'y a que ça vous qui vous intéresse. Seulement, il faut bien que, de temps en temps, je puisse tout de même me mettre à parler de ce qui se passe en négligeant le feu au derrière, qui est pourtant, bien sûr, la seule chose qui puisse motiver celui que j'appelais l'animal à se faire représenter ainsi. »

On chope le feu au cul quand, à travers l'autre, on croit accéder directement au grand Autre ; on obtient un plus-de-jouir similaire dans un autre genre à la plus-value marxienne. Ça ne dure jamais bien longtemps. le temps qu'on se rende compte de la supercherie est variable bien qu'il semble qu'un consensus semble progressivement avoir été établi : l'amour dure trois ans. Seulement, ce n'est pas l'amour qui dure trois ans (trois mois dirait Blanche Gardin), c'est le désir. L'amour, au contraire, peut se développer sur un tas de fumier – il suffit qu'il y ait de quoi boire et de quoi manger. C'est ça la vie, c'est ça pour quoi on n'arrête pas de faire des trucs toute la vie alors qu'on pourrait juste rester dans son pieu en regardant le soleil se lever, parcourir le ciel et se coucher : c'est qu'on est obligé de se fixer des objectifs pour qu'une fois atteints, on se rende compte qu'on n'en voulait pas. Il y a le plaisir de la possession, vite remplacé par le sentiment du dégoût, qui nous permet de nous mettre en mouvement avec joie et folie vers autre chose. Pour sortir de cette boucle karmique infernale, Patanjali nous explique : apprenez à exercer votre discernement – apprenez à distinguer Purusha et Prakriti, le spectacle et le spectateur.

« Il y a moins de personnes debout. Je ne peux pas le regretter pour elles, mais enfin, si cela signifie que le public se raréfie, je le regrette, car c'est forcément dans les dernières rencontres que je dirai les choses les plus intéressantes. C'est mon style. »
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