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Critique de EloCourcy


Marie-Sylvie est une jeune femme dont l'âge n'est pas précisé mais que l'on suppose dans la fin vingtaine puisqu'elle fait une thèse à l'Université.

Héritière des souvenirs de sa grand-mère maternelle, une femme de goût élégante, fort sympathique qui a vécue et regrette avec nostalgie une époque révolutionnaire et, disons-le ainsi, « révolue », Marie-Sylvie étudie l'histoire dans le but de faire une reconstitution « objective », scientifique, de cette époque de « rêve» qui est devenue de l'ordre de la légende pour les gens de son pays parce que presque tous les documents qui y sont reliés ont été détruits par les « ennemis ». Ces adversaires de la Québécie représentent le nouvel ordre de l'économie. Ils sont responsables du massacre, de la répression terrible qui a mis fin à cet âge d'or du Québec dont l'existence est remise en doute, voire qualifié de chimérique par les Québécois du roman. Cette période nous évoque à nous, lecteurs, évidemment, la "Révolution Tranquille", évènement marquant pour la petite province de Québec au Canada (d'où le roman tire son titre d'ailleurs) qui a eu lieu en 1970, bien que cette coïncidence historique ne soit qu'un prétexte, elle n'a pas tant d'importance puisque tout ce qui a trait aux lois de l'utopie est entièrement fictif.

Dans sa démarche, la narratrice découvre assez tôt que le caractère de cette civilisation perdue, mythique que sa grand-mère lui faisait entrevoir, par le biais de ses souvenirs, et dont elle veut découvrir le principe, les lois, dans le cadre de sa recherche, est incompatible et résiste à ce point de vue « objectif » exigé dans les Universités.

Elle doit donc revoir toute son approche. C'est donc au journal, aux notes plus personnelles de la jeune historienne que nous avons accès au début du roman. Cette forme de narration, plus subjective, est vraiment originale et aussi géniale pour le genre de l'utopie, puisqu'elle permet en effet de réconcilier l'aspect subjectif intrinsèque au pays idéal décrit dans la Québécie, celui de son "esprit", et celui, objectif, universel, accessible à la raison raisonnante et impossible à contredire au niveau logique. Ce côté objectif nous est présenté à l'intérieur du roman conformément à sa nature, c'est-à-dire sous forme d'articles de code législatif qui sont tirés du "Recueil", le document juridique fondateur de l'utopie qui a été interdit par les autorités du pays et que Marie-Sylvie doit reconstituer, justement, au péril de sa vie.

L'héroïne a tous les traits d'une jeune femme intelligente, courageuse et rêveuse. On s'attache à elle, on a envie de mener avec elle jusqu'au bout cette lubie de refaire renaître de ses cendres une Québécie dont elle est certaine qu'elle a existé malgré ce qu'on en dit et malgré la prédominance de ceux qui cherchent à la faire taire. Aidée par des adjuvants sympathiques dans son plan, son père et l'énigmatique professeure B., notamment, elle se retrouvera dans toutes sortes d'endroits sympas aux ambiances que l'auteure réussit habilement à retranscrire à partir de certains lieux de la ville de Québec au Québec que j'ai d'ailleurs moi-même connus, visités si souvent. C'est là où se trouve l'Université Laval où étudie Marie-Sylvie dans le roman.

Bref, ce livre, en plus d'être une vraie utopie au sens classique, littéraire du terme, c'est-à-dire qu'il va à fond dans le détail législatif d'un pays idéal imaginé à partir de l'analyse et de la critique de nos sociétés occidentales actuelles et réelles, est aussi une réussite du point de vue du genre « suspense », ce qui relève d'un tour de force, à mon avis. En comparaison, j'avais lu des extraits, dans mes années de fac, de « L'utopie » de More et de « La nouvelle Atlantide » de Bacon, deux ouvrages du genre de l'utopie qui sont intéressants pour leur valeur philosophique mais qui échouaient carrément sur le plan de la dramaturgie, lacune que « La Québécie » ne manque pas de combler avec brio. En effet, Marie-Sylvie est entraînée, avec sa recherche d'Université, dans une intrigue policière qui nous tient en haleine du début jusqu'à la fin, ce qui est formidable et symbolique aussi. L'intrigue illustre à merveille, d'une certaine façon, et à mon avis, la ligne mince, le danger bien présent et commun à toutes les recherches intellectuelles et poussées dans la vie.

D'ailleurs, la narration qui change progressivement, elle passe de journal de recherche dans les premiers chapitres, par exemple, à l'écriture de scènes de la vie Québécienne et de dialogues dans les derniers, est à l'image du phénomène de transgression qui se produit quand on se donne, on se "perd" dans une recherche littéraire.

Bref, cette petite brique fascinante, rédigée par une jeune femme aussi prodigieuse que mystérieuse (Francine Lachance ne semble pas avoir publié autre chose depuis 1990, année de la sortie de la Québécie) m'a laissée sur ce sentiment intense de transformation intérieure que Marie-Sylvie vit jusqu'à brûler dans un incendie et que seuls ont le pouvoir de laisser les grands romans de ce monde.

C'est fou, après la lecture, c'est comme si je me sentais moi-même un peu plus Québécienne...

Finalement, j'en parle mais, je ne sais même pas si je le recommande...

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