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Citations sur La culture des individus (25)

La domination radiophonique et télévisuelle de la culture du divertissement n'était pourtant pas une fatalité inscrite dans la nature des choses. Dans les années 1950 et 1960, télévision et radio publiques jouaient un rôle éducatif et culturel plus grand qu'aujourd'hui où la culture vit retranchée dans des territoires bien délimités (essentiellement France 5 et Arte pour la télévision, France Culture et France Musique pour la radio). On a même oublié qu'au début des années 1930 "la musique classique était majoritaire à la radio" et que c'est seulement "à partir de 1937, (qu') on observe un net renversement de tendance au profit de la variété". Durant les années 1920-1930, les radios d'état vont être de puissants vecteurs de diffusion de la culture la plus légitime : diffusions de musique classique et de spectacles en direct de l'Opéra de Paris (au rythme d'un concert ou une oeuvre lyrique par soir), de pièces de théâtre radiophoniques, de lectures de romans faites par des comédiens, de chroniques sur l'art, la littérature, l'histoire, les sciences, d'informations et même de cours et de conférences prononcés à la Sorbonne ou au Collège de France. C'est à partir des années 1930 que, sous l'effet de la concurrence de radios privées, l'ensemble de l'offre radiophonique commence à se transformer avec la montée en puissance de la chanson populaire, des feuilletons, des jeux et, plus généralement, des divertissements de toute nature. Malgré tout, dans les années 1950 la radio de service public continue à jouer un rôle important dans l'accès aux genre culturels les plus nobles (musique classique, opéra, théâtre, vulgarisation culturelle et scientifique).
La sphère privée est propice aux relâchements contrôlés des émotions, à l'expression des dispositions les moins formalistes et les plus hédonistes (moindre contrôle du regard d'autrui, moindre officialité et moindre formalité de la situation) et, du même coup, propice aux consommations culturelles les plus divertissantes. Plutôt que de surinterpréter l'intensité de la foi et des pratiques dévotes en matière de culture légitime, la saisie des nuanciers culturels individuels permet de se faire une idée de la variété des moments dans lesquels des goûts et inclinations très différents s'expriment.
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C'est l'idée même de démocratisation de la culture qui rebute Fumaroli. Il pense en effet que l'ordre naturel des choses (des talents, des goûts, des envies, des passions) étant caractérisé par la diversité, il est vain (et méprisant pour la diversité naturelle) de vouloir imposer le même programme culturel à tous. Naturalisant des différences sociales, Fumaroli pense qu'il faut respecter ces différences et ne pas perturber l'ordre naturel des choses en laissant à chaque art (savant ou populaire) ou chaque loisir (studieux ou sans prétention) la possibilité, dans son ordre propre, d'apporter sa contribution. Il se distingue ainsi de ceux qui "souhaitent généreusement que cette propriété (du clergé intellectuel) soit partagée" : "leur générosité n'est pas douteuse. Mais son point d'application est très contestable." Car "la racine de cette "culture" (...), sa chance d'accroissement et de renouvellement, c'est la nature, c'est la lumière naturelle impartie plus ou moins à tous les hommes, et dont peut-être les voyageurs du P.L.M regardés avec commisération par Saint-Exupéry et Guéhenno, ou la femme de ménage citée par Danièle Sallenave sont pourvus en abondance, plus que leurs doctes observateurs. Cette lumière naturelle trouve en chacun de nous une expression différente, et parfois méconnaissable pour des esprits pourvus du luxe patenté de la "culture" ". Il faut accepter le fait que la Bibliothèque nationale, les musées, les théâtres, les opéras, les salles de concert, les archives ou les sites archéologiques soient destinés à une "élite" ou à une "minorité". Marc Fumaroli ne trouve pas cela plus choquant que le fait qu'une minorité de personne puissent se retrouver entre elles dans des stades ou sur des pistes de danse sans être gênées par des non-sportifs ou des non-danseurs. Pourquoi contraindrait-on les minorités cultivées "à se fondre dans la foule indistincte des badauds" comme cherche à le faire l'État culturel?
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On mesure concrètement l'effet du passage des films des salles de cinéma à la télévision (avec les diffusions multiple et la possibilité de visionnage des cassettes vidéo) sur les caractéristiques de leurs publics. Plus les films sont anciens et plus ils ont une chance d'avoir été vus, et même appréciés, par un public autre que celui qui s'était déplacé pour les voir au moment de leur sortie en salle. D'une part, les films d'auteurs "réservés" initialement au public très diplômé et cinéphile trouvent ainsi des publics plus larges qui ne se seraient pas déplacés et n'auraient pas payé pour aller les voir par peur de s'ennuyer ou de ne rien comprendre, mais qui ont néanmoins la curiosité de les voir à la télévision. D'autre part, les films les plus "grand public" et les moins légitimes (films d'action ou d'aventures, films policiers ou films comiques) peuvent être vus par des publics aux exigences culturelles ordinairement plus hautes, qui ne seraient pas non plus allés les voir en salle (noblesse culturelle oblige), mais qui peuvent apprécier de les regarder gratuitement, en privé, sans ressentir de honte culturelle et sans être gênés ou rebutés par la présence de publics aux propriétés sociales et culturelles très éloignées des leurs.
Comme le résume Jean-Michel Guy, "il apparaît que, au fil du temps, par le jeu des rediffusions sur petit écran, le profil du public d'un film se rapproche de plus en plus d'un profil moyen. Si, lors de leur sortie en salle, la plupart des films ont un "public-cible", et atteignent essentiellement la cible visée, ils finissent, tôt ou tard, par gagner à eux des spectateurs au profil de moins en moins conforme à celui du spectateur-cible". Les stratégie (plus ou moins conscientes) de distinction, quand elle existent, concernent essentiellement le moment des sortie en salle. On entrevoit donc bien les mixités culturelles à travers l'objectivation de quelques propriétés scolaires et culturelles des publics. Même quand le film est clairement un film d'auteur, il est rare d'avoir affaire à un public massivement orienté vers les films d'auteurs (à eux seuls les films d'action, d'aventures et de science-fiction arrivent souvent largement en tête des préférences cinématographiques, et si l'on ajoute les préférences pour les films comiques, la prédominence pour les films assez peu légitimes est écrasante) et on ne constate aucun grand déséquilibre en faveur des publics à fort capital scolaire par rapport à ceux qui ont un faible capital scolaire (9 films plutôt légitimes sur les 14 retenus dans le tableau ci-dessous ont même une plus forte proportion de spectateurs et télé-spectateur à faible capital scolaire). Inversement, les films peu légitimes sont vus par des publics dont une partie (jamais marginale) exprime une préférence pour les films psychologiques et d'auteurs et possède un niveau d'études supérieures. C'est ainsi que, effet de la télévision aidant, le profil des publics d'À bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960) et d'À nous les petites Anglaises (Michel Lang, 1975) se révèle assez semblable.
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Même critique de la confusion sous la plume de Marc Fumaroli en 1991 prenant à partie Jack Lang, ministre de la Culture, qui selon lui mélange Carême et Carnaval et peut, dans le même temps, subventionner "des groupes "rock" français qui singent des groupe "rock américains depuis longtemps défunts" ainsi que " la "culture rap", importée des quartiers ensauvagés du Nouveau Monde", "se porter caution pour l'imitation servile en France d'une des dernières trouvailles du show-business" et "vanter l'attachement des Français à leur patrimoine architectural". Pour lui, exposer des taggers dans des musées nationaux constitue un double mal, pour le patrimoine culturel comme pour les taggers eux-mêmes : "C'est une insulte pour les malheureux que l'on encourage dans une "créativité" qui les abîme ; c'est une insulte pour le patrimoine artistique français, que l'on traite en contrepoint frivole d'une "expérience" hasardeuse."
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"La haute culture est définie comme une perte de temps dépourvue de pertinence dans le secteur privé et est activement exclue du lieu de travail."
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Ainsi Xavier Couture, directeur de l'antenne de TF1, des sports et des opérations spéciales, nommé en avril 2002 président du directoire du Groupe Canal+ ( il avait été avant cela, entre autres, responssable des relations publiques de Thierry Sabine, chef de publicité au jounal L'Équipe entre 1976 et 1980, rédacteur en chef sur TF1 en 1988 et dirrecteur des programmes pour la jeunesse sur La Cinq de Silvio Berlusconi en 1990), déclarait-il à propos du jeu "qui veut gagner des millions? (TF1): "(Ce jeu est) insupportable pour un normalien ou pour un professeur du collège de France car ils chuteraient bien souvent à la troisième ou la quatrième question, là où un candidat de condition bien plus modeste est capable de répondre."
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L'ensemble des arguments légitimistes ne peut cependant faire oublier qu'André Rieu, comme les promoteurs d'un Shakespeare populaire avant lui, opère objectivement un travail de familiarisation de certains thèmes musicaux classiques auprès d'un public que les cadres et les formes les plus académiques, savants et sérieux rebutent et maintiennent ordinairement à distance. Défiguration ou popularisation? Affaire de point de vue sur un verre à moitié plein et à moitié vide. Mais la connaissance sociologique et historique permet de rappeler que les politiques de démocratisation qui entendent apporter la "grande culture" jusqu'au peuple sans rien vouloir concéder sur rien (lieux, cadres, formes, manières, contenus, etc.) ont toujours payé le prix de leur illusion sociale : l' "élitisme pour tous", qui, comme tout oxymore, est rhétoriquement séduisant de fait de l'association improbable de contraires, doit s'évaluer lucidement à l'aune de quarante ans de mesure des inégalités sociales d'accès à la culture.
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Le fait de vouloir se tenir scientifiquement à distance des visions catastrophistes, des plus progressistes aux plus conservatrices, afin de comprendre le plus complètement possible notre situation culturelle n'empêche pas de remarquer que le mélange des genres et l'étiolement de la foi en la culture légitime classique ne profitent pas également à tous, quels que soient sa condition sociale et son niveau d'instruction scolaire. Si l'affaiblissement relatif de la légitimité classique et la relative indistinction culturelle qui s'ensuit tendent à engendrer des comportements plus détendus (moins ascétiques) parmi les membres des classes supérieures qui n'hésitent pas à fréquenter les territoires ordinaires du divertissement, ces dernières continuent néanmoins de se distinguer des autres groupes par leur degré de formation scolaire. Du coup, tant que le relativisme (ou l'égalitarisme) culturel n'est pas parfait - et il est loin de l'être malgré les nombreux cris d'alerte régulièrement lancés -, c'est-à-dire tant que les produits et pratiques culturels continuent, malgré tout, de se différencier et d'être hiérarchisés (on n'efface pas les effets d'une domination pluriséculaire soutenue par des institutions aussi lourdes que l'École, les académies, les conservatoires, les musées, les bibliothèques, les salles de concert, les théatres, etc.), les groupes les plus éloignés des formes scolaires de culture peuvent être les plus grandes victimes d'une situation de moindre discrimination culturelle.
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On pourrait dire que l'économie matérielle s'objective en permanence dans des valeurs chiffrées, alors que l'économie spirituelle s'objective le plus souvent dans des jugements verbaux (et notamment des adjectifs qualificatifs, qualifiants ou disqualifiants) qui peuvent être divergents et contradictoires, et plus rarement dans des prix (littéraires, musicaux, cinématographique, etc.) ou des titres.
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certes, les pratiques culturelles les plus légitimes (ayant trait à la musique classique, à l'opéra, au jazz, à la littérature classique, à la peinture, au théâtre, etc.) s'avèrent toujours sensibles aux différences sociales (l'origine sociale ou l'appartenance sociale), mais elles concernent toujours une minorité de pratiquants, y compris au sein des groupes scolairement et socialement les mieux dotés. En, effet, si l'on peut dire que les enfants de milieu "cadre supérieur" sont à peu près trois fois plus nombreux que les enfants de milieu "ouvrier" à être allés à un concert de musique classique ou à l'opéra, il faut immédiatement préciser que seule une petite minorité des enfants de milieu "cadre supérieur" (respectivement 11% et 7%) est concernée par de telles sorties culturelles légitimes. Si l'on a souvent retenu de l'analyse de Pierre Bourdieu dans La Distinction le fait que les consommations culturelles les plus légitimes sont le fait de classes supérieures, on a suffisamment prêté attention "au fait que ces pratiques peuvent être minoritaires au sein même de ce groupe social: l'énoncé "les cadres supérieures ont été plus souvent que les ouvriers dans l'année à un concert de grande musique" se transforme progressivement en l'énoncé suivant: "les cadres supérieurs vont souvent au concert" alors qu'en réalité seulement un quart s'est déplacé dans une salle de salle au moins une fois dans l'année. L'assistance au concert ne constitue pas un horizon probable, y compris pour les classes supérieures dans leur ensemble".
Comment dès lors soutenir, sans sourciller, la thèse d'une fonction social de la culture fondée sur l'idée d'une mise à distance du "commun", du "vulgaire" ou de la "masse", d'une distinction vis-à-vis du "grand nombre" et, plus précisément, des classes populaires, lorsque les faits statistiques font clairement apparaître que la distance entre les pratiquants culturels légitimes et les autres se marque, dans un grand nombre de cas, entre une minorité des classes supérieures à fort niveau de diplômes et une grande majorité des Français, des plus hautement diplômés aux plus dépourvus scolairement?
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