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Critique de IrishStew


Swing à Berlin expose un sujet grave à travers la musique. le personnage principal est un vieux pianiste de jazz, Wilhelm Dussander, qui a vu certains de ses collègues envoyés en déportation dans les années 1930. Lui-même a cru y passer. A l'époque, le jazz était rigoureusement interdit; à la radio d'abord, puis dans les clubs, la censure sévissait. Pourtant, il est convoqué par Goebbels, le tristement célèbre ministre de la Propagande qui lui demande de construire un big band en allant piocher les meilleurs éléments dans les conservatoires allemands. le but est de faire passer le IIIème Rich résolument moderne qui adopte les styles musicaux contemporains, tout en défendant les valeurs du régime. Comme le dit si bien Dussander, les musiciens n'ont pas à se mêler de politique, ou du moins l'idée-même de faire de l'Art une arme politique est totalement absurde. Aujourd'hui d'ailleurs continuons-nous de pleurer le sort réservé à Wagner par les nazis. Certes, Wagner n'était pas le meilleur des hommes et ce ne sont pas ses réflexions antisémites qui vont prouver le contraire. Mais Wagner chérissait l'Art plus que tout autre chose, et il n'aurait sans doute pas aimé que l'on se servisse de ses opéras pour nourrir la propagande nazie, quoi que pût en dire Cosima sa femme. Bref!
Un régime qui blâme le jazz mais qui commande quand même la création d'un orchestre de jazz? C'est paradoxal, et on reconnaît bien là l'hypocrisie des bien-pensants. Enfin toujours est-il que Dussander arrive à réunir un pianiste, un contrebassiste, un saxophoniste et un batteur. Il leur apprend ce qu'est le swing, une conception du rythme qui se retrouve dans tous les genres musicaux. le quatuor des Goldenen Vier (les Quatre Dorés) connaît un succès retentissant. M'enfin, l'histoire ne se termine pas aussi bien qu'on pourrait l'espérer. Plus que l'histoire d'un quatuor jazz, c'est un combat entre la liberté représentée par l'Art et la rigueur et l'austérité d'un régime dictatorial. D'un côté se trouvent les jazzmen à la tête desquels il y a Dussander, et de l'autre l'Allemagne nazie représentée par Goebbels (bien qu'il soit relégué au second plan assez rapidement) et un certain Dietrich Müller.
Sur fond de Duke Ellington et Bessie Smith, Christophe Lambert nous donne à voir une Allemagne moins manichéenne que ce dont on l'habitude de voir à travers les documentaires sur l'époque.
Bon, on passera sur les quelques erreurs techniques liées à la musique, comme mettre le saxophone dans la famille des cuivres (parce qu'il est cuivré d'apparence) alors qu'il fait partie des bois (tout comme le didgeridoo qui est un instrument en bois mais qui fait partie de la famille des cuivres... Faites péter l'aspirine!). On passera également sur les quelques lourdeurs d'écriture. le résultat final est plaisant, il groove, bien que le sujet soit sombre. L'idée du roman n'est pas de dire "Non mais finalement c'était pas si terrible que ça à l'époque!", mais plutôt de donner une vision moins connue. Christophe Lambert a l'intelligence de ne pas juger l'époque, la population se laissant séduire par les idées du parti national-socialiste. Déjà parce qu'il ne l'a pas connu et que son point de vue est forcément objectif, et puis aussi la haine n'engendre que la haine. Il prend bien évidemment parti, lui-même étant artiste il ne comprend pas que l'on puisse rendre illégitime la liberté. Mais à aucun moment il ne juge, et à aucun moment il ne donne de pistes pour aider le lecteur à juger la période. L'idée du jazz est en soi beaucoup plus subtile qu'elle ne le paraît, et c'est là qu'est toute la force du roman. Je m'explique.
Le contrebassiste du groupe s'appelle Hermann, et il connaît les Jeunesses Hitlériennes, et il est tout ce qu'il y a de plus convaincu. Ce personnage est intéressant parce qu'il remet en doute les enseignements qu'on lui a prodigué aux Jeunesses. A un moment, il demande pourquoi les Noirs se sentent obligés de se réfugier dans la drogue et l'alcool. Dussander répond d'abord que ce n'est pas une question de couleur, mais d'abord une question de contexte social. Les musiciens de blues et de jazz jouaient dans des coins un peu chelou où l'alcool coulait à flot, et où les dealers n'étaient jamais très loin. Donc c'était facile de se procurer ces deux choses. de plus, ces hommes là vivaient dans la misère, alors quand on leur promettait des lendemains meilleurs avec certaines substances douteuses, ils ne disaient pas non. Vous, chères lectrices, chers lecteurs, si vous viviez dès votre plus tendre enfance dans la misère la plus totale et qu'on vous promettait le bonheur, seriez-vous capable de refusez? Certains d'entre vous direz "oui", mais à ces gens-là je leur demande de mettre de côté leur orgueil et de prendre le temps de répondre à la question. Pour ce qui est de l'Allemagne nazie, il s'est un peu passé la même chose. Les conséquences de la Première Guerre sont encore lourdes dans les années 1930, et les humiliations des français qui occupaient une partie du pays, sans oublier la catastrophe financière, ont réduit au désespoir ces allemands. Alors, quand un homme s'est distingué de la masse en promettant un avenir meilleur à condition que tout le monde fasse ce qu'il disait de faire, personne n'a voulu dire "non", dans un premier temps. Certains ont regretté, comme certains ont regretté d'avoir touché à l'alcool ou à la drogue. Mais les conditions n'aidaient en rien à la base, et Dieu seul sait à quel point le désespoir peut nous faire faire n'importe quoi.
Ce groupe de jazz, c'est la résistance face à l'oppression et au désespoir.
Ce roman se lit très facilement, sur le plan stylistique. Il n'y a pas de scène particulièrement dure, mais après tout dépend des points de vue. Il se lit rapidement, on s'attache bien aux personnages, bien que le seul qui soit réellement développé est celui d'Hermann le contrebassiste. C'est un peu dommage que les autres soient délaissés, en fin de compte. Ca demeure une bonne lecture, ne serait-ce que par la façon dont le sujet est traité, c'est-à-dire par le truchement d'un quatuor jazz.
Lien : http://lesjeuneslettres.blog..
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