Il détestait que l'incertitude, qui est le lot de chacun, s'habille de l'arrogance de ceux qui prétendent savoir.
Imagineraient-ils que le vrai pari, c'est de considérer l'amour secret des fils et des pères. De regarder les femmes en sachant qu'elles vieilliront et que ce vieillissement n'est pas haïssable, d'entrer en somme dans les ruses de la vie orpheline et superbe?
Il est difficile d'affronter sa propre mort: mais lorsque l'on devient l'otage de l'effroi que les autres ont de la leur, cela doit devenir insoutenable.
Le nom de cet oubli, c'est aussi le présent, le présent rendu à sa seule grâce, l'instant auquel on demande de rester encore un peu, parce qu'il est si beau.
On peut retracer de l'extérieur la vie d'un autre ; mais le deuil ne renvoie qu' à soi, oblige à retrouver en soi le souvenir de ce qui fut.
La mémoire ne vaut pourtant guère mieux que le désert : c'est toujours sur du sable que l'on déchiffre le nom des êtres aimés. Puis le vent passe.
La mort d'un proche recale les hiérarchies.
On me prête parfois de la mémoire; je crois que ce n'est rien d'autre, depuis quelques années, que la poisseuse habitude de fixer les faits pour me persuader que leur addition compose une existence.
Parfois, les livres donnent une phrase. Celle-ci, par exemple, d'un poète anglais qui parle des jeunes hommes " magnificently unprepared for the long littleness of life ". En français, on pourrait dire : superbement impréparés à la longue petitesse de la vie.
Si je trace ces lignes, c'est parce que j'ai peur que l'absence de mon frère _la certitude qu'il ne poussera plus la porte, l'évidence que les silhouettes qui dans la rue lui ressemblent ne sont pas la sienne _ne se redoublent d'une amnésie.