Tout est graduation dans le monde, concluait l'Empereur. L'Île d'Elbe, trouvée si mauvaise il y a un an, est un lieu de délices comparée à Sainte-Hélène. Quant à Sainte-Hélène, ah ! elle peut défier tous les regrets à venir.
20 février 1816
Tome I, p 228
Après le dîner, l'Empereur ne manquait jamais de revenir sur la dictée du matin, comme jouissant de l'occupation et du plaisir qu'elle lui avait causés. Cela me valait en cet instant, comme aussi toutes les fois que je l'abordais dans le jour, certaines interpellations de plaisanteries, qu'il avait consacrées par leurs répétitions nombreuses. "Ah ! le sage Las Cases ! à cause de mon Atlas de Le Sage, M. l'illustre mémorialiste ! le Sully de Sainte-Hélène !'' et plusieurs autres mots de la sorte. Puis il ajoutait maintes fois : "Après tout, mon cher, ces Mémoires seront aussi connus que tous ceux qui les ont devancés ; vous vivrez autant que tous leurs auteurs ; on ne pourra jamais s'arrêter sur nos grands événements, écrire sur ma personne, sans avoir recours à vous." Et, reprenant la plaisanterie, il continuait avec gaieté : "On dira : Après tout, il devait bien le savoir ; c'était son conseiller d'État, son chambellan, son compagnon fidèle. On dira : Il faut bien le croire, il ne ment pas, c'était un honnête homme, etc." et mille autres choses semblables.
Le vrai caractère perce toujours dans les grandes circonstances.
Je renvoie aux campagnes d'Italie pour faire voir que l'ardeur de Mme de Staël ne s'était pas ralentie pour n'avoir pas été partagée. Opiniâtre à ne pas se décourager, elle était parvenue plus tard à lier connaissance, même à se faire admettre ; et elle usait de ce privilège, disait l'Empereur jusqu'à l'importunité.
Réflexion de l'Empereur :
"Il n'y a que ceux qui veulent tromper les peuples et gouverner à leur profit qui peuvent vouloir les retenir dans l'ignorance".
29 novembre 1815
Tome I, p138
Il parle de son histoire passée comme si elle avait déjà trois cents ans de date ; ses récits et ses observations ont le langage des siècles ; c'est une ombre concernant aux Champs-Elysées, de vrais dialogues des morts.
16 novembre 1815
Tome I, p122
Il est des instants rapides qui décident de la vie ou de la mort des empires.
Du reste, je ne me suis nullement dissimulé que la tâche que j'ai entreprise pouvait me créer de nombreux inconvénients ; mais je me suis cru un devoir sacré, et je m'efforce de le remplir du mieux qu'il m'est possible : advienne que pourra !
Février 1816
Tome I, p226
Napoléon : "L'adversité manquait à ma carrière !... Si je fusse mort sur le trône, dans les nuages de ma toute-puissance, je serais demeuré un problème pour bien des gens aujourd'hui, grâce au malheur, on pourra me juger à nu !"
30 novembre 1815
Tome I, p140
Et l'Empereur comparaît la confusion de nos troubles à des combats de nuit, où souvent l'on frappe sur le voisin au lieu de frapper sur l'ennemi, et où tout se pardonne au jour, quand l'ordre s'est rétabli et que tout s'est éclairci. "Et moi-même puis affirmer, disait-il, malgré mes opinions naturelles, qu'il n'y eût pas eu telles circonstances qui eussent pu me faire émigrer? Le voisinage de la frontière, une liaison d'amitié, l'influence d'un chef, etc. En révolution, on ne peut affirmer que ce qu'on a fait : il ne serait pas sage d'affirmer qu'on n'aurait pas pu faire autre chose."
Tome I, p80