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Critique de gerardmuller


Vers une société d'abondance frugale/Serge Latouche
Il n'a échappé à quiconque s'intéressant un tant soit peu à l'évolution des sociétés que notre société de croissance mondialisée est malade de sa richesse. La promesse de cette société d'apporter le bonheur pour tous a failli. de plus en plus de population se trouve exclue de cet eldorado annoncé pour sombrer dans la pénurie. L'abondance consumériste de plus n'a pas engendré le bonheur des bénéficiaires. Par ailleurs, il est à noter que les gens heureux sont de mauvais consommateurs, d'où l'idée de l'abondance frugale pour être heureux, l'ivresse joyeuse de la sobriété choisie comme dit l'écologiste Ivan Illich.
La crise financière et économique actuelle de notre société capitaliste de consommation n'a à ce jour suscité comme solution chez nos édiles qui au lieu de s'attaquer aux causes se contentent de lutter contre les symptômes, que l'austérité ou la relance : la première conduit à la misère pour la plupart de la population et la seconde la dégradation encore plus accentuée de notre planète. Il faut donc trouver autre chose.
Quand on constate que la part la plus importante des recettes fiscales ne sert plus à financer le fonctionnement de l'État mais à engraisser les détenteurs de titres, c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
Dans la première partie de son opuscule, l'auteur fait un état des lieux en proposant par petites touches des solutions parfois toutes simples. Encore faut-il que la volonté générale soit d'actualité ! Ce qui est loin d'être le cas.
Le but à atteindre serait « une société où les besoins et le temps de travail seraient réduits, mais où la vie sociale serait plus riche parce que plus conviviale. » (Patrick Mundler)
La machine de la croissance est condamnée sinon à s'arrêter du moins à se mettre en veilleuse sur un régime de croisière. Car l'insuffisance de terres fertiles, l'épuisement des ressources minières et les limites de la planète elle-même sont des paramètres inéluctables.
« L'actuelle augmentation de l'utilisation des ressources naturelles semble accroître les coûts écologiques plus vite qu'elle n'augmente les avantages de la production, ce qui nous rend plus pauvres et non plus riches. »
Herman Daly propose une société « qui ne consomme pas les ressources plus vite qu'elles ne se renouvellent et ne rejette pas de déchets plus vite qu'ils ne sont absorbés. »
La croissance durable est non seulement une erreur mais encore une impossibilité.
La délocalisation consécutive à la mondialisation est une aberration : les exemples ne manquent pas. « Les USA, riches en bois, importent des allumettes du Japon, pays qui doit s'approvisionner auprès des entreprises pilleuses des forêts indonésiennes, quand dans le même temps les Japonais importent leurs baguettes des USA…La tête de laitue de la vallée de Salinas en Californie arrive sur les marchés de Washington après 5000 km de route et consomme pour ce seul transport 36 fois plus d'énergie qu'elle ne contient de calories. Lorsque la laitue arrive à Londrès par avion, elle a consommé 127 fois l'énergie qu'elle contient. »
Le système de production a été déterritorialisé.
« Il faut à présent relocaliser, produire et consommer local afin de réduire l'empreinte écologique. Pour cela le démantèlement de la grande distribution est nécessaire. Il faut reterritorialiser l'ensemble de la vie. »
Mais il ne faut pas faire un contresens : la société de croissance sans croissance est la pire des choses et n'a rien à voir avec le projet de décroissance. Une forte réduction du temps de travail imposé est la première mesure à prendre. Conjointement à la relocalisation et la reconversion écologique (agriculture bio et création d'emplois à teneur écologique), cette mesure créerait les conditions d'une baisse du chômage.
Recycler, réparer, transformer : c'est produire autrement. C'est aussi conduire « la productivité globale à la baisse en abandonnant le modèle thermo-industriel, les techniques polluantes, l'usage inconsidéré des énergies fossiles et les équipements énergivores. »
Changer le mode de vie et juguler les passions tristes : l'ambition, l'avidité, l'envie, l'égoïsme : c'est aussi par là que la décroissance frugale a des chances de voir le jour.
Concrètement, la règle des 8 R est à mettre en vigueur : réévaluer, reconceptualiser, restructurer, relocaliser, redistribuer, réutiliser, recycler. Utopie peut-on répondre !
Il est vrai ; mais il faudra bien « que l'altruisme prenne le pas sur l'égoïsme, la coopération sur la compétition effrénée, l'importance de la vie sociale sur la consommation illimitée, le local sur le global, le relationnel sur le matériel ». En un mot changer le paradigme.
L'auteur ensuite se penche sur la question de savoir si la décroissance implique une réduction drastique de la population. Chacun se fera son idée, mais il apparaît clairement qu'une réduction très progressive de la population permettrait d'éviter le cauchemar d'une réduction brutale à travers des guerres, des massacres, des famines qui à terme sont inéluctables. L'auteur développe ce chapitre en donnant les ingrédients permettant cette réduction (p. 141). le problème de la démographie doit être abordé avec sérénité mais il est clair qu'une croissance infinie est incompatible avec un monde fini.
Autre problème : « la surconsommation carnée des riches, sources de problèmes sanitaires, mobilise 33% des terres arables de la planète en plus des 30% des terres émergées constituant des pâturages naturels. Une diminution relative de l'élevage avec amélioration du traitement du bétail permettrait, à la fois de nourrir une population plus nombreuse et de façon plus saine et de diminuer l'émission de CO2. »
La question centrale est de savoir si ce mouvement sera imposé par les événements, par des politiques autoritaires, par des méthodes fondées sur la coercition, voire sur la barbarie, ou s'il résultera d'un choix volontaire. »
La croissance est-elle nécessaire pour éliminer la pauvreté du Nord ? Pas sûr quand on voit que la croissance des inégalités du Nord ne fait que s'accélérer avec un paupérisation psychologique provoquée par l'accroissement des besoins réels ou artificiels non satisfaits.
Comment résoudre le problème de la misère des pays du Sud avec la décroissance ?
L'auteur se livre à une étude sérieuse pour affirmer que la croissance à perte de vue n'est pas la bonne solution pour ces pays.
Et les pays émergeants ? Il est clair que la croissance économique chinoise à deux chiffres pose un problème planétaire et le destin du monde et de l'humanité repose très largement sur les décisions des responsables chinois.
Alors l'auteur de poser la grande question : l'idée de cette décroissance pour une abondance frugale est-elle une utopie ? Qui peut soutenir un tel programme ? La révolution se fera –t-elle par le bas ou par le haut ? Sera-t-elle prolétaire ou élitiste ? Quelle force sociale porte une alternative ? L'auteur indique quelques pistes avec prudence et cite l'exemple de pays comme l'Équateur et la Bolivie qui refusent le développement à l'occidentale et les multinationales.
Alors, l'abondance frugale, un rêve ou un espoir ? En tout cas un pari qu'il faudra tenir !
En bref, un très bon petit opuscule qui fait réfléchir et trace quelques voies pour un avenir qui ne soit l'apocalypse. À lire absolument.

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