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Critique de oblo


Livre reçu grâce à l'opération Masse Critique.

C'est à un mouvement d'une ampleur et d'une profondeur intellectuelle exceptionnelles que s'attaque C.H. Lawrence dans cet essai historique consacré au monachisme médiéval et aux formes de vie religieuse en Europe occidentale. La plage chronologique envisagée est donc large, depuis le Haut Moyen Âge jusqu'à l'apparition des ordres prêcheurs, Franciscains et Dominicains en tête, durant le 13ème siècle. Naturellement, restreindre le récit au début du 13ème siècle ne signifie pas que le phénomène monachique se termine à cette période : il demeure encore aujourd'hui et ses manifestations ont été nombreuses et importantes. Mais on a probablement là, après l'apparition des ordres prêcheurs, l'éventail complet des formes de vie religieuse que le christianisme a engendré.

Le monachisme naît d'un paradoxe : le moine étymologiquement seul vit en communauté. C'est que le cénobitisme - la vie en communauté d'hommes à la recherche d'une relation privilégiée avec le divin - a gagné idéologiquement contre l'érémitisme, bien que cette forme de vie religieuse extrême rencontrât encore des exemples jusque dans la période moderne, et au-delà. La vie en communauté appelle des règles de vie commune, de la même façon qu'une vie dédiée au divin nécessite un règlement précis des offices et de la liturgie : la Règle de saint Benoît s'impose lentement en Europe occidentale. Remaniée et rendue plus rigoriste par un autre saint Benoît, d'Aniane celui-là, la règle bénédictine profite des puissances politiques de l'époque : empire carolingien en tête.

La règle bénédictine survit à Cluny, qui devient rapidement le centre de l'un des plus importants réseaux de monastères dans l'Occident médiéval. C'est précisément en réaction au monachisme clunisien qu'apparaissent de nouveaux ordres, comme celui des Cisterciens ou celui des Chartreux. le faste de la liturgie clunisienne éloigne, selon saint Bernard, les moines de leur mission de prière. de la même façon, la liturgie collective empêche toute forme individuelle de prière, toute tentative d'introspection religieuse qui permettrait un dialogue avec Dieu. Plus encore, c'est un autre paradoxe de l'histoire du monachisme qui est ici en cause : celui du rapport à la pauvreté. Les monastères possèdent des terres, des forêts, des ruisseaux. Ils disposent de véritables empires fonciers, source de revenus importants. Cela se ressent jusque dans les églises aux chapiteaux finement sculptés et historiés. Les abbayes cisterciennes, elles, font montre d'austérité : rien ne doit dévier le moine de la prière. Cette exigence de dépouillement se rencontre jusqu'à saint François, qui se dépouille de ses biens avant d'aller prêcher.

L'histoire du monachisme occidental est décidément faite de paradoxes. En voilà un autre : celui du rapport au monde. Certaines règles prônent la réclusion totale. Et pourtant, des tâches bien banales doivent être menées au quotidien : vendre la production du monastère, accueillir les hôtes ... Sur certains points, les frères convers apporteront quelques solutions. Car la règle écrite par Benoît d'Aniane donne à la prière une place considérable dans les journées des moines, laissant peu de temps aux travaux manuels et à l'étude, pourtant prépondérants dans la règle de saint Benoît de Nursie. Mais le rapport au monde, c'est aussi le rapport au siècle, et notamment à la puissance politique. Les princes comprennent qu'ils ont avantage à favoriser l'installation et le développement d'un monastère : Salut du peuple chrétien, Salut personnel, surtout. Sans puissance politique, et donc guerrière, aucune installation n'est possible. Mais le rapport n'est pas nécessairement celui de dominants à dominés entre le monde politique et le monde religieux. Les abbés et les évêques conseillent parfois les princes et leurs avis sont recherchés.

Autre paradoxe : le rapport à l'Eglise, en tant qu'institution. Les moines, au Haut Moyen Âge, sont des laïcs. L'exercice des sacrements pose problème. de la même façon, faut-il que les monastères se placent sous la protection des épiscopats, ou en sont-ils indépendants ? La puissance financière et le rayonnement intellectuel d'un abbé surpasse parfois celle d'un évêque : on pense à Suger, abbé de Saint-Denis.

Du monachisme naissant des mouvements qui entretiennent avec le premier un lien évident mais ne lui appartiennent pas forcément. Les ordres mendiants, par exemple, dont les prêches se déroulent en ville, ont fait voeu de pauvreté mais ils vivent clairement dans le siècle. Les béguinages, en Flandre, recueillent des femmes à l'idéal monastique. Nul doute que les formes de vie religieuse au Moyen Âge ont été multiples, et qu'à l'exigence des uns répondait le pragmatisme des autres. La lecture du livre donne à voir et à comprendre les monachismes dans l'Occident médiéval. On regrette toutefois et très fortement, l'absence de cartes indiquant les emplacements des monastères cités mais aussi le découpage politique aux différentes époques. La présence d'un lexique est salutaire. Enfin, si le propos est, dans son ensemble, parfaitement clair, on observe quelques redites qui alourdissent, le cas échéant, le propos. Cette synthèse demeure d'un grand intérêt intellectuel et elle rappelle, si besoin était, le rôle essentiel des moines et des monastères dans l'histoire européenne.
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