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Critique de lanard


lanard
05 septembre 2016
Souvent présenté comme un jalon essentiel de la vulgarisation scientifique, Les entretiens sur la Pluralité des mondes peuvent aussi être considérés comme le premier manifeste pour une littérature de science-fiction ou plus précisément une exhortation à ce type d'imaginaire qui s'exprime dans ce genre particulier de littérature et de cinéma qu'on appelle le Space Opera.
Bien entendu, bien des voyages imaginaires dans le monde extra terrestre ont précédés les rêveries de Fontenelle ; Lucien de Samosate au second siècle de notre ère, l'Arioste (Astulfe sur le lune dans le Roland furieux, Orlando Furioso, 1532) ce dernier étant d'ailleurs abondamment commenté dans ces entretiens. L'anglais Francis Godwin avait déjà publié The Man in the Moon en 1638 (traduit en français en 1648) et Cyrano de Bergerac avait publié en 1656 ces États et Empires de la Lune.
Ces auteurs peuvent être présentés à bon droit comme précurseurs d'un genre. Mais nul n'en avait écrit le manifeste, si tant est que la naissance d'un genre ait besoin de manifeste. Le mot science-fiction n'existait guère, la notion et le genre se sont cristallisés seulement au vingtième siècle. Le terme de fiction, lui même récemment entré dans l'usage courant désigne ce qu'autrefois ont appelait des fables ; quant à l'idée de science telle qu'on la conçoit de nos jours elle n'existait guère au temps de Lucien et c'est au temps de Galilée, pour ainsi dire au temps même de l'Arioste, que les historiens de la science situent sa naissance. le voyage d'Astolfe sur la lune est encore une fable – entre jeu d'esprit et conte moral – et nullement de la science-fiction ou du Space Opera. La fable était alors morale ou philosophique.
Descartes, avertit des déboires de Galilée avec l'inquisition, avait cru bon de déguiser sous l'artifice de la fable un discours philosophique sur le monde qu'il croyait trop audacieux pour une Église contrariante ; la Fable du monde prête à la publication en 1633 ne le sera qu'après la mort de son auteur en 1664. La fable et le conte, que maintenant nous appelons du terme plus générique de fiction, étaient alors destinés au pur divertissement (L'Arioste) ou à l'exposition philosophique (Descartes et plus te et Ptolémée) et la vision héliocentrique de Copernic. Mais l'idéologie de la science était encore trop peu assurée ; la fiction visait justement à soutenir des idées dont la vérité ne pouvait apparaître sans elle ; on bricolait alors la fiction comme on assemblait un coffrage pour soutenir une maçonnerie dont le mortier n'a pas encore assez durci.
Au temps de Fontenelle on commençait tout juste à décoffrer l'édifice ; les œuvres concurrentes de Descartes et de Newton devaient ensuite tenir tout seuls. Les siècle des Lumières était encore un siècle philosophique dont le modèle, la physique de Newton était appelé philosophie naturelle.
Puis la science est devenue cette sorte de nouvelle évidence lumineuse, un dieu de lumière sans dieu ; un discours assuré sur le monde. Un nouveau genre de littérature devait naître à la fin du dix-huitième siècle avec Louis Sébastien Mercier (L'an 2440 paraît en 1771) et s'affermir au dix-neuvième siècle avec Jules Verne (il écrit Paris au vingtième siècle en 1860)  et qu'on allait appeler plus tard science-fiction. Au temps de Fontenelle, ce qu'on n'appelait pas encore science avait besoin de la fiction ; de nos jours, la fiction a recours à la science pour être crédible. C'est un retournement de situation qui nous semble être passé inaperçu.
Lorsque Fontenelle écrivait les astronomes avaient accumulé des observations de plus en plus précises. Leurs mesures et leurs calculs sont désormais guidés par une philosophie naturelle (nous dirions aujourd'hui une physique) de plus en plus libérée des préjugés anciens hérités des épigones d'Aristote. Cette science nouvelle obligeait à apprendre à regarder différemment, à changer – littéralement – de perspective sur le ciel pour saisir la façon dont elle conçoit le mouvement des astres ; il faut un certain effort d'imagination pour se représenter la révolution de la Terre autour du Soleil quand l'expérience quotidienne donne à voir celui-ci tourner autour de celle-là. Aussi, des astronomes comme Kepler imaginèrent-ils eux-aussi des fables pour se représenter à soi-même et à autrui la possibilité de l'héliocentrisme tel que Copernic l'avait conçu le premier chez les modernes (la plus ancienne théorie héliocentrique connue est due à Aristarque de Samos au IIIème siècle avant notre ère). Ainsi Kepler, publia t'il le Songe ou l'Astronomie lunaire en 1634. Il avait déjà lu le récit des observations de Galilée avec sa lunette, le Messager des étoiles publié en 1610. Il venait de calculer le dessin de l'orbite de mars en se fondant sur les observations de Tycho Brahé ; il découvrit qu'il s'agissait d'une ellipse. Galilée en l'esprit duquel survivait des restes de préjugés antiques ignora ce résultat dont il eut pourtant connaissance ; mais ce qu'il restait d'archaïque en lui refusait que les planètes orbitent sur autre chose que des cercles.
Bien entendu Fontenelle ne pouvait connaître précisément ces petits faits de l'histoire des sciences. Mais il vivait à une époque où les prémices d'une nouvelle conception générale de l'univers invitait chacun au travail de l'imagination pour éclairer le monde d'une lumière nouvelle ; pour Fontenelle, l'imagination n'est pas tout à fait ennemie de la raison qui tout comme elle, procède de l'esprit. Aussi bien des passages des entretiens invitent à imaginer les mondes, leur pluralités, leurs habitants ou même leurs déserts ; car rien ne permet d'assurer que la lune soit habitée ou déserte. Fontenelle est convaincu que l'on pourra un jour se rendre sur la lune pour le vérifier mais pour l'instant on ne peut qu'imaginer avec tout le luxe de détail de notre puissance d'imaginer nous autorise. Notre tort serait de nous en priver en dépit de ce qu'un autre tort serait de prendre ces imaginations pour la vérité.

Contrairement aux dialogues de Galilée qui confrontent des visions du monde à coups d'arguments (un personnage défend les idées aristotéliciennes, un autre celles de Galilée et un troisième fait office de candide et de modérateur), les Entretiens sur la pluralité des mondes ne confrontent pas deux thèses ; un savant s'adresse à une naïve ignorante. A travers celle-ci, le discours du savant veut instruire le lecteur en lui présentant des faits selon lui attestés par les meilleurs savants. L'intention n'est nullement polémique ; bien au contraire, c'est une sorte d'invitation au voyage et à la rêverie qui le lecteur est convié.

Voici comment Fontenelle fait l'éloge de l'imagination par le truchement d'une fable dans laquelle il décrit une forme vie étrange dans société de laquelle un seul est fécond quand tous les autres sont stériles et travaillent au service de cet être fécond et de ses progénitures. Bien que cette organisation paraît absolument fantaisiste, Fontenelle révèle à la fin que ce monde existe bel et bien car c'est celui des abeilles. Ainsi, en décrivant une forme de vie qui ressemble à une fantaisie imaginaire, il force son lecteur à imaginer la possibilité du radicalement autre et à admettre que cet alien, sur Terre, s'incarne déjà dans la société des abeilles (à une époque où la découverte du microscope ouvre la voie à la découverte de formes de vies jusqu'alors insoupçonnées).

Voici donc une oeuvre qui invite à l'imagination pour donner à entendre à des profanes des connaissances nouvelles débattues dans les académies savantes. Or ce n'est pas seulement un propos sur le ciel ; la pluralité des mondes ne se réduit pas à une description des astres ; le but est bien d'imaginer d'autres mondes que le notre, c'est-à-dire d'autres formes de vie et, en particulier, de vies intelligentes. le monde décentré de Copernic, cet univers infini substitué à l'ancien monde clos, rend imaginable d'autres Terres ; c'est à cela que Fontenelle encourage ses lecteurs. C'est pour cela que, bien plus qu'une vulgarisation de l'astronomie ces entretiens constituent un texte qui devrait inspirer l'imagination littéraire et particulièrement celle qui est à la base du Space Opera qui projette dans l'univers étoilé les conflits internes de l'humanité ; géopolitique, histoire culturelle, conflits ethniques, hominisation etc. Une invitation à aller bien au-delà du décentrement de la Terre ; une invitation à décentrer l'homme. Ce texte marque peut-être le début de la fin de l'humanisme.
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