AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de BazaR


Voilà une sacrée somme de savoir sur le Moyen Age condensée dans un livre somme toute assez petit ; un savoir compacté dans la petitesse de la fonte utilisée pour le texte et dans l'étroitesse des interlignes, mais un savoir si dense qu'il fuit à travers les joints des pages. Et certaines parcelles sont parvenues à atteindre mon cerveau ébahi.

Cela avait mal commencé pourtant, car dès le début Jacques le Goff fracasse sans pitié la période romaine précédente – et là, moi, spontanément, je crie à l'assassin. « Rome paralysie de l'Occident », « exploite sans créer », « économie alimentée par le pillage », les qualificatifs négatifs se bousculent, les bons côtés sont négligés. Ok, je conçois qu'on cherche à mettre en lumière son sujet en dénigrant un peu le canevas général (la Renaissance en prend aussi un peu pour son grade), mais j'en ai encore les dents qui crissent.

Mais bah ! Tout ça est rapidement oublié quand on entre dans le vif du sujet (oubli grandement aidé par le fait que les quelques échos de la période romaine qui paraissent le long du récit sont nettement moins à charge) et que l'on comprend que l'auteur domine incontestablement son sujet (je le savais déjà mais ça explose vraiment dans le récit). Jacques le Goff ignore – ou évacue – l'exposé de la chronologie factuelle, préférant bâtir son édifice à coup de petites briques thématiques décorées d'exemples. Il taille lentement les facettes de son diamant, focalisant le regard sur tel ou tel aspect de la période. Et quasiment tous les aspects passent par son tamis ; j'emploie le mot délibérément car Jacques le Goff n'assène pas les faits, il les interprète, les digère et les propose dans l'écrin de sa vision affûtée.

Je l'avoue, ma mémoire fuyante n'a pas tout retenu, mais ce n'est pas si grave vu que je sais où retrouver l'information si besoin (l'absence d'un index est très dommageable à cette utilisation du livre d'ailleurs). Je peux quand même déposer pêle-mêle quelques éléments qui m'ont marqué, lorsqu'au-delà des mots l'information prend une forme plus émotionnelle, ressentie dans les tripes.

- La symbiose profonde qui unit l'Occident avec la Chrétienté. Je suis plutôt cartésien, héritier des Lumières (je me flatte à mort mais je compte sur votre indulgence) et c'est pour moi toujours difficile de comprendre les comportements dominés par la religion. Pourtant ici j'ai pu annihiler pendant quelques temps mon paradigme et percevoir cette fusion, cette manière d'appréhender réalité physique et mystique à travers le seul prisme du catholicisme.

- La dureté de la vie des hommes et femmes des basses classes, des paysans, des serfs, soumis aux maladies, aux guerres, aux famines, au pillage de leur propre seigneur, au mépris des classes « supérieures ». Les quatre cavaliers de l'Apocalypse avaient amené quelques copains pour participer à la fête. Dans ce livre tout cela vous pète à la figure et l'on se demande comment il se fait que ces gens ne se soient pas révoltés plus tôt. Mais bien sûr ils l'ont fait, souvent, et ont été anéantis. La Révolution, en fin de compte, c'est la première révolte qui ait réussi.

- L'aventure que représente le voyage en ces temps-là.
- L'évolution du culte de la Trinité, depuis le Roi/Seigneur le Père et Christ pantocrator jusqu'au Fils souffrant, plus proche de l'humanité.
- L'importance de la mesure du temps, réalisée par les classes supérieures, et surtout l'Eglise, qui s'en sert comme outil de domination. Il faudra attendre le XIVème siècle pour voir les horloges mécaniques laïciser la mesure.
- La scolastique qui propose, pour certains, une approche de Dieu par la raison et place les germes de ce qui deviendra la méthode scientifique.

C'est sans fin. J'arrête. J'ai déjà écrit plus que ce que je comptais. Pour conclure je dirai que si je devais retenir une seule chose, c'est que je n'aurais pas aimé vivre à cette époque autrement plus éprouvante que la nôtre.
Lire ce livre valait vraiment le coup et je remercie mille fois LydiaB dont la critique m'en a donné l'envie.
Commenter  J’apprécie          354



Ont apprécié cette critique (34)voir plus




{* *}