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Critique de philippehenryauteur


Fugue américaine, Bruno le Maire.
Je ne vous le cacherai pas, j'étais extrêmement sceptique quant à l'intérêt de lire ce livre. Alors je ne l'ai pas acheté. Oui, mais voilà qu'on me l'a offert, sous prétexte qu'un soir, j'écoutais son auteur nous parler d'inflation. On a voulu me faire plaisir que voulez-vous ! Or, j'ai un problème. Si on me donne un livre, il est impératif que je lise. Et de bout en bout qui plus est. Pas question de s'arrêter avant la fin. Cela prend le temps qu'il faut, mais j'avance, quitte à m'ennuyer un peu. Bon me direz-vous, tout cela est bien intéressant, mais venons-en au fait : ce livre, qu'en avez-vous pensé ?
Tout d'abord, laissons de côté les critiques stupides sur les pages « pornographiques» dans lesquelles se serait complu Bruno le Maire. En fait un tout petit passage sans intérêt ni conséquence que seuls les plus mauvais journalistes ont pris soin de relever.
Dans fugue américaine, il y a d'abord « fugue ». Pas étonnant, la fugue vous le savez est une forme musicale et la musique est un des principaux sujet de ce roman. Précisément les musiciens. Encore plus précisément les interprètes, en l'occurrence Wladimir Horowitz. Dans le titre il y a aussi « américaine » car l'essentiel de cette histoire se situe entre Cuba et à New York, à différentes époques.
Plutôt que roman, il faudrait plutôt dire évocation de Wladimir Horowitz. Un homme fragile, inquiet -on l'appelle parfois l'intranquille- à la carrière entrecoupée de plusieurs interruptions dues à une dépression quasi existentielle. Un homme qui aime le succès et se sait supérieur à beaucoup. L'auteur nous présente ainsi une personnalité aussi attachante par sa fragilité qu'elle est exaspérante par sa vanité. L'auteur décrit, imagine en partie je présume, une personnalité crédible, basée sur des témoignages et consolidée par la connaissance qu'il a lui-même du monde musical et du piano. La richesse proposée de cette personnalité, sa complexité, sont le reflet même de la musique. Horowitz devient une incarnation de la musique : « Il avait une attirance pour les jeunes hommes, il cédait à cette attirance et il la combattait, avec une duplicité morale que l'on ne peut comparer qu'à celle de la musique, dans son ambiguïté. Par ses lignes mélodiques doubles ou triples, dans la superposition des accords, avec ses silences, la musique était ce qui se rapprochait le plus de la complexion de Vladimir Horowitz ». Cette petite citation nous montre à voir, en quelques lignes, le talent d'écrivain de B.Le Maire. Pour comprendre Horowitz, il faut se laisser emmener par la musique. Belle image. du très beau travail que l'on retrouve à plusieurs moments. Par exemple les dernières pages du chapitre 30 où un Horowitz solitaire et halluciné laisse doucement aller ses penchants pour les jeunes gens tandis que gronde l'orage et blêmit la mer.
D'autres personnages interviennent aussi : Wenda Toscanini, l'épouse omniprésente de Wladimir Horowitz, tendre et attentive dans la supervision de son mari. Horowitz et elle forment une sorte de vieux couple émouvant. Elle connait les défauts de son mari, elle les accepte. Elle aime à l'évidence son mari et se contente de vivre à côté de lui. Simplement à côté. Pas avec, car on ne peut probablement pas vivre avec Horowitz.
Intéressants aussi le caractère de plusieurs personnages purement romanesques : par exemple Oskar Wertheimer, le narrateur de ce récit. Il veille avec bienveillance, exaspération et culpabilité sur son grand frère, Franz, excellent pianiste écrasé par son impossibilité à atteindre la perfection d'un Horowitz, et qui sombre, comme lui pour d'autres raisons, dans la dépression face à ses multiples échecs. Il est trompé par sa femme, une mondaine, dépensière acharnée, égoïste sans remord dont le comportement contribue à la dépression de Franz. Il est roulé par ses associés. Il se retrouve seul, sans femme, sans enfants. Il n'a plus que son frère Oskar, qui ne saura pas le raccrocher à la vie. Franz est un peu le reflet indirect et partiellement inversé d'Horowitz, qui lui aura connu le succès. Au début du roman, Franz dit à son frère Oskar : « Oskar, rien n'est parfait. Il y a toujours un défaut. Il faut passer sa vie à chercher le défaut ». La dépression qui l'emportera plusieurs années après est déjà en germe. Franz a trop conscience de sa médiocrité. Il aurait pu tout réussir et il a tout raté à l'image de son échec à assister au concert d'Horowitz dans le grand théâtre de la Havane. Horowitz son idole, celui pour qui il avait fait le déplacement jusqu'à Cuba. En retard, il trouve portes closes et erre dans le hall sous le regard des statues de marbre. « Franz avait beau frapper, personne ne lui ouvrait, le hall était désert, seules les femmes drapées dans du marbre blanc cassé lui jetaient des regards désolés »
B.Le Maire est très efficace dans la peinture de tous ses personnages dont il donne une image riche et par là souvent ambigüe, avec des facettes variées qui nous font osciller entre rejet et émotion. Pourtant c'est quand même lorsqu'est évoquée la personnalité d'Horowitz qu'il suscite le plus notre intérêt.
Et puis, hors les personnages, l'auteur a une très belle plume pour décrire les choses ou les sentiments. Des expressions, des images parfois pleine d'ironie, au bord de la suffisance comme la description de Muriel, la femme de Franz, le jour de son mariage : « Elle s'acquittait de son devoir de jeune mariée à la perfection, en minaudant ; elle dessinait avec ses lèvres carmin des mouvements de succion (..) au milieu de son visage ruisselant de fard, sa bouche accomplissait des mouvements de dilatation et de contraction comme une anémone de mer effleurée par les courants. Quel plancton verbal pouvait-elle avaler avec autant d'avidité ? »
Dans ce livre apparait également l'homme politique qu'est Bruno le Maire. Celui qui appartient pleinement aux cercles du pouvoir. le Maire glisse de nombreuses considérations géo politiques, de la crise de Cuba jusqu'aux plus récents évènements. Il fait (ou Oskar le narrateur fait) la constatation consternée de l'évolution du monde occidental, des menaces qui pèsent sur lui. de sa mort annoncée. Il dit la perte des valeurs morales et du soutien des religions. le monde moderne qu'il entrevoit fait peur.
Cela m'amènerait bien à penser que ce roman regroupe des textes distincts, écrits par Bruno le Maire à des périodes différentes. La musique et Horowtitz en est une. Les réflexions sur le sens de notre histoire en est une autre. Plusieurs journalistes ont récemment demandé à l'auteur comment, consacrant autant de temps à la vie politique française, il parvenait encore à écrire un roman de 550 pages. le Maire s'en était tiré avec des pirouettes. Je crois que ce livre est simplement l'amalgame de plusieurs écrits d'époques différentes. Il fallait du temps quand même bien sûr, mais pas autant qu'on pourrait le penser.
Ah, encore un détail : pourquoi avoir truffé le récit de phrases en allemand, en anglais, en espagnol... ? Quand même pas pour crâner ! Pour donner aux personnages un caractère exotique ? Je ne sais pas trop mais le lecteur se serait passé de ces envolées étrangères auxquelles souvent on ne comprend que peu de choses, sauf à consulter en permanence un dictionnaire ou la traduction sur sa liseuse. Quand finalement on ne renonce pas tout simplement à comprendre, par lassitude...
Finalement, mais après réflexion, j'ai bien aimé ce livre. Bien écrit, riche en plusieurs aspects. Un livre, s'il fallait résumer, certes sur la musique, mais aussi beaucoup sur l'échec. (Un avant-goût du futur monsieur le Maire ?)


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