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Critique de FredericSoulier


J'ai lu le recueil "Monstres" du même auteur il y a quelques jours, et il est fort rare que je laisse passer aussi peu de temps entre les lectures de deux oeuvres d'un même auteur, car si je suis fidèle à ma femme, j'aime bien flirter quand il s'agit de littérature. C'est bien de cela qu'il s'agit ici : de littérature.

En théorie, il y a un peu trop de bondieuseries dans ces pages pour un farouche athée comme moi, et j'aurais dû rejeter ces icônes avec un haut-le-coeur, mais c'est tellement bien écrit et jouissif que toutes mes réserves se sont heurtées au mur du talent. le talent, l'auteure en a à revendre, mais le lecteur doit en avoir également pour apprécier ces nouvelles, car Carmen l'ne fait rien pour en faciliter la compréhension. On se plonge dans chacune d'elles en se disant chaque fois qu'elle est un peu froide, et puis une fois qu'on est dedans, on aimerait ne plus en sortir.

C'est souvent triste, parfois cruel, toujours sublime. C'est si beau que ça vous donne envie de faire comme Van Gogh et de sucer des tubes de peinture. A propos de peinture, la nouvelle Les lèvres rouges d'Anne Gwynne est un ravissement pour tous les sens. Je pourrais coller ici à peu près n'importe quel passage, comme celui-ci, tiré de le bouquet, une nouvelle qui est à mon avis un pur chef d'oeuvre qui écaille méchamment le vernis de l'âme humaine :


" Les fleurs furent installées dans la chambre, le vase était trop grand et les roses s'écartèrent les unes des autres, les branches des graminées s'inclinèrent, le bouquet sembla vaciller. Quand la nuit vint, les deux femmes allèrent dîner ensemble sur la terrasse de l'hôtel. La soirée était brûlante, le soleil couchant dessinait des lignes parfaites. Esma picorait dans son assiette et jouait avec quelques miettes de pain, qu'elle faisait rouler sous ses doigts.

—Vos doigts vous trompent, il n'y a qu'une boule de pain et vous jureriez qu'elles sont deux… La vie vous trompe aussi, quand elle veut. Les mots eux-mêmes vous égarent. Les concepts. La dignité, tout cela. Quand ils pèsent sur vos épaules, vous ne vous en sortez plus.

Typhaine se dit à plusieurs reprises, au cours de leurs conversations, que cette femme pouvait se perdre dans de grandes banalités, mais qu'elle les rendait merveilleuses. Elle l'écoutait, acquiesçait. Riait aussi, avec elle.

—Un jour, mon mari a disparu, plouf, plus personne. Plus de rasoir dans la salle de bains, plus de brosse à dents électrique, rien. Juste son odeur sur l'oreiller et une chemise dans un placard, c'était peu de chose. Des reliques. J'ai enfoui ma tête dans l'oreiller, j'ai reniflé la chemise, ça ne l'a pas fait revenir. Gardez bien votre chéri et surveillez-le, les hommes ont vite fait de s'envoler par la fenêtre. Fermez les portes, tirez les volets, faites attention.

—J'étais à ce moment-là dans la nécessité de tuer, essayez de comprendre, même si c'est difficile. Mon mari lui, l'a fait. Ou alors condamnez-moi si vous le voulez, vous n'êtes pas à ma place. Qui est à ma place ?

— Les innocents ? Des femmes, des enfants, des représentants de commerce, un employé de mairie, un épicier dans sa chemise en nylon du Dimanche, deux soldats en permission… tant pis pour eux s'ils se trouvaient là. La loterie de la guerre, voyez-vous, une table sur une terrasse, une glace au citron dans une coupe parce qu'il fait chaud, que c'est un régal et hop, votre vie s'en va, vous n'y pouvez rien. Mais reprenez de ces pâtes, elles sont délicieuses et elles vont refroidir. Chez moi on en mange rarement, c'est dommage."


Pfiou ! Je ne sais pas si l'auteure est un peu trop modeste ou manque d'ambition, mais que fait-elle dans le circuit des autoédités ?... (oui, je sais...) Assurément, une de mes plus belles découvertes de ces dernières années.
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