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Critique de Iraultza


Covid-19, montée de l'extrême droite, guerre en Ukraine, catastrophes climatiques à répétition, le panorama actuel a de quoi plomber les âmes les plus optimistes. On ne voit pas bien comment on pourra sortir du bourbier dans lequel le capitalisme nous a enfoncé, et malgré nous, résonne parfois dans nos esprits la sentence de Maggie «The Witch» Tatcher, There is no alternative.
Ainsi, il serait plus facile d'imaginer la fin du monde, que la fin du capitalisme pour reprendre les propos du philosophe américain Frederic Jameson. Signe, s'il en est, de cette tendance, les dystopies ont toujours été plus nombreuses dans la production culturelle que les utopies.
Alors quoi, tout est foutu ? Fichtre que non ! Camille Leboulanger, dans la lignée des Dépossédés d'Ursula le Guin, nous prouve le contraire en invoquant la science-fiction pour dessiner une eutopie (du grec ancien «le bon lieu») libertaire qui a de la gueule et redonne espoir en un futur désirable.

Eutopia est le récit autobiographique fictif de Umo, dont nous allons suivre la vie, les amours, ses peines, ses joies, de son enfance au crépuscule de sa vie. La société dans laquelle il évolue s'est constituée sur les principes de la Déclaration d'Antonia qui ne reconnaît que la propriété d'usage : la terre, les plantes, les animaux ne sont plus considérées comme des ressources naturelles, les moyens de production sont régis par une copropriété d'usage, et l'autogestion permet la prise de décisions. Les citoyen·nes, à leur majorité et jusqu'à leur mort, bénéficient d'un salaire à vie, financé par les cotisations sociales, et qui permet à chacun·e la maîtrise de son travail et de sa vie.
Camille Leboulanger a ainsi imaginé une société post-capitaliste, organisée à partir des théories du sociologue Bernard Friot et du Réseau Salariat, et nous démontre que nous avons des outils à notre disposition, dont nous connaissons le potentiel émancipateur (la Sécurité Sociale, le système des retraites) qui pourraient servir des projets révolutionnaires (une société libérée des institutions capitalistes).

Au fur et à mesure que nous découvrons le quotidien d'Umo, nous découvrons le fonctionnement de cette société : éducation des enfants, écologie, relations entre les femmes et les hommes, organisation du travail, système de santé, système alimentaire, démocratie, modes de déplacement tout est construit et repensé sur une base où la propriété lucrative a été bannie. Quelques passages permettent également de voir comment cette nouvelle civilisation gère les héritages empoisonnés laissés par notre civilisation (nucléaire, étalement urbain et dépendance au béton).

Eutopia c'est aussi une histoire d'amour, entre Umo et Gob, histoire complexe, passionnante et bouleversante qui expose les conséquences de la fin de la propriété sur les relations amoureuses, la famille et les liens entre adultes et enfants.
Dans cette société, les enfants, à l'âge de 3 ans, quittent leurs parents biologiques pour être élevés par l'ensemble des adultes de la communauté. le modèle de la famille nucléaire traditionnelle (père-mère et des enfants) que nous connaissons n'existe plus. Disons-le clairement : on est bousculé par cette organisation sociale où les enfants sont les enfants de tous·tes et que les rôles sociaux de père ou de mère ont disparu. C'est déstabilisant pour les lecteur·trices et pour le personnage de Gob, qui nourrira une incompréhension sur ces relations adultes-enfants, ou sur la limitation d'un enfant par paire d'adultes, ce qui ira jusqu'à perturber les principes de la Déclaration d'Antonia...

D'ailleurs, l'auteur sait jouer du suspens pour nous faire découvrir la manière avec laquelle on est passé du Siècle des Camps (la dénomination de notre époque) à la Déclaration d'Antonia où les frontières ont disparu. Si on ajoute à cela l'avidité de découvrir le fonctionnement de cette société post-capitaliste, et de savoir comment va se terminer l'histoire entre Umo et Gob, Eutopia est un roman captivant et optimiste que l'on est bien en peine de refermer une fois finie, tant on voudrait que notre monde ressemble à celui décrit tout au long du récit.
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