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Critique de karmax211


Le "Printemps arabe" ,qui devrait être un pluriel, est un mouvement de contestations populaires qui va faire vaciller certains régimes du Maghreb et du Machrek à partir de la toute fin de l'année 2010.
Il va chronologiquement concerner d'abord la Tunisie, puis partiellement l'Algérie et la Jordanie, l'Égypte, le Yémen, Bahreïn, la Libye, le Maroc et enfin, le 19 mars 2011 la Syrie.
Chacun des pays cités a connu un sort différent.
La Tunisie, la Libye et l'Égypte se sont retrouvés avec de nouveaux leaders mais avec des régimes dans lesquels la démocratie et les droits de l'homme ont peu ou toujours pas leur place, exception faite peut-être de la Tunisie...
L'Algérie, la Jordanie, le Maroc ont turbulé mais sans céder.
Au Yémen et à la Syrie a été réservé le pire...

Je tenais à ce rappel parce que je ne suis pas sûr que tous les lecteurs de ce roman l'aient à l'esprit et parce que personnellement "mobilisé" depuis 2011 sur le drame syrien, j'ai lu ledit roman avec un vécu qui n'est certes pas celui de Chrity Lefteri qui, elle, a été marquée par son expérience de bénévole au "Faros Hope Center", un centre d'accueil pour les réfugiés à Athènes, mais qui est celui d'un militant concerné et encore actif.

La ville d'Alep compte presque trois millions d'habitants avant le déclenchement de la guerre civile.
C'est une ville prospère où il ferait bon vivre sans la dictature Assad.
Mais c'est là que vivent néanmoins heureux, Nuri apiculteur, Afra son épouse artiste peintre et Sami leur petit garçon de cinq ans.
Nuri est associé à son cousin Mustafa, lequel est marié à Dahab, et a deux enfants, une fille Aya et un garçon Firas.
La guerre civile va bouleverser la vie de ces hommes et de ces femmes qui ne demandaient rien d'autre que de vivre leur vie en paix.
Mustafa va envoyer, par prudence, Dahab et Aya en éclaireuses en Angleterre.
Mais la situation va empirer, la guerre civile va dans un premier temps voir s'affronter les sbires d'el-Assad et l'Armée syrienne libre.
En 2015, l'année où se déroule cette histoire, la coalition Fatah Halab rassemble des dizaines de groupes d'insurgés, sans parler du tristement célèbre État islamique.
Alep est le théâtre des pires affrontements et des pires exactions.
Firas et Sami sont tués.
Firas est "exécuté", Sami est tué par l'explosion d'un obus.
Toutes leurs ruches sont brûlées.
Mustafa part rejoindre Dahab et Aya en Angleterre, conjurant son cousin de le rejoindre.
Mais Afra qui a perdu la vue au moment de l'explosion qui a tué Sami, refuse de quitter Alep.
Il faudra que la vie de son mari soit directement menacée pour qu'elle consente à l'exil et que tous deux empruntent le terrible chemin de la fuite et fassent connaissance avec ce qu'est le sort des réfugiés.

Ce roman très touchant est à la fois le récit d'un exil et le témoignage de toutes les histoires des exilés qu'a rencontrés Christy Lefteri.

C'est l'histoire de ces terribles traumatismes engendrés par la guerre, l'exil et les conditions de l'exil.
C'est l'histoire des traumatismes nés du deuil.
C'est aussi et surtout l'histoire de trois cécités.
Celle d'Afra qui ne veut plus voir.
Celle de Nuri qui, se refusant de voir la réalité, s'est inventé une réalité alternative.
Notre cécité qui s'est habituée à passer d'une actualité à l'autre ou à pas d'actualité.
Mais c'est aussi l'histoire d'un long chemin vers la résilience.
Une résilience à laquelle seul l'amour peut donner naissance ou re-naissance.

Christy Lefteri maîtrise son sujet. L'histoire de Nuri, d'Afra, de Sami, de Mohamed, et de tous ceux qu'on appelle avec l'inconvenance du confort "les migrants", est relatée avec beaucoup de réalisme, d'humanisme, d'empathie, mais sans céder à la tentation du pathos, de l'emphase ou du lyrisme.
C'est un roman qui porte les labels "honnêteté" et "authenticité".
La plume a d'indéniables qualités.
La structure narrative est originale ; le livre est séquencé entre l'Angleterre, la Turquie, la Grèce, Alep et quelques flashbacks avec pour chacun un trait d'union sous la forme d'un mot qui permet de passer d'un chapitre à l'autre, d'un lieu à l'autre, d'une temporalité à l'autre.

Je vous recommande ce très bon livre et y ajoute celui de Raphaël Pitti - Va où l'humanité te porte -, livre ( chroniqué sur Babelio ) témoignage d'un médecin de guerre qui est intervenu en Syrie et qui oeuvre à présent pour l'Ukraine...
Pour conclure, je ne peux m'empêcher de faire le lien "thématique" entre ces deux cousins apiculteurs à Alep et cet apiculteur du Donbass et ses "abeilles grises" qu'Andreï Kourkov a mis en scène dans un livre magnifique, que je vous recommande également.

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