Avec leurs compagnons, d’autres entrent dans ma vie ; des enfants, un frère, des neveux, des amis. En acceptant de leur faire de la place, j’ai parfois l’impression de leur céder la mienne.
Adolescente, une amie dont les parents s’étaient séparés quand elle avait deux ans m’avait confié qu’elle n’avait aucun souvenir d’eux ensemble. Un instant, j’avais pensé au moins, elle n’a connu que ça. Puis, tout de suite après, je préfère avoir souffert et me souvenir de nous trois.
Au fond chacun souffre seul.
Encore aujourd’hui, avoir l’impression de devoir choisir et plus encore celle de choisir ma mère, m’est insupportable.
À peine franchie la porte de l’immeuble, j’explose en sanglots. Ma mère tente de m’apaiser mais je ne l’écoute pas. Je la déteste. Je les déteste tous les deux de n’être pas capables, pour moi, de se parler.
Mon enfance m’apparaît scindée en deux. Pourtant, une séparation n’est pas une mort brutale.
Avant de partir, elle me dit Profite bien de ta journée, amuse-toi, essaye de penser à autre chose. Je hoche la tête même si je sais que jamais plus je ne penserai à autre chose. Ce que je redoutais le plus vient d’arriver. Mes parents se sont séparés.
Parfois, j'ai envie de confronter ma mémoire à celle des autres. Interroger ma mère, ma tante, une amie d'enfance. Ce dont je me souviens s'inscrit-il dans la réalité de ce qui a été ? Mais très vite, je renonce. Les carnets et les photos suffisent. Ne pas chercher à être au plus prêt de ce qui a eu lieu mais de ce que j'ai vécu.
Mon père, s'il a accepté que ma mère conserve on patronyme, y accole systématiquement son nom de jeune fille quand il lui fait un chèque.