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Critique de Aquilon62


15 ème volume = 100% de réussite comme à chaque fois.
Cet opus est consacré à Edvard Munch. Et qui dit Munch, dit "Le Cri". Mais son oeuvre ne se résume pas qu'à ce tableau emblématique.

Première découverte, en tout cas en ce qui me concerne, nous apprenons que ce fameux tableau fait partie d'une ensemble intitulé "La Frise de la Vie" :
La Voix, 1893 / Rouge et blanc, 1899-1900 / Les Yeux dans les yeux, 1899-1900 / Danse sur la plage, 1899-1900 / le Baiser, 1897 / Madonna, 1894 / Cendres, 1895 / Vampire, 1893 ;
La Danse de la vie, 1899-1900 ;
Jalousie, 1895 / Les Trois Âges de la femme, 1894 / Mélancolie, 1894-1896 / Anxiété, 1894 / Une soirée sur l'avenue Karl Johan, 1892 / La Vigne rouge, 1899-1900 / Golgotha, 1900 ;
Le Cri, 1893 ;
Sur le lit de mort, 1893 / La Mort dans la chambre de la malade, 1893 / L'Odeur de la mort, 1895 [remplacé par L'Enfant malade, 1885-1886] / L'Enfant et la Mort, 1899 / Métabolisme, 1898-1899.

L'auteur a pris le parti de ne pas jouer la simplicité en délaissant le Cri au profit de la "Danse de la vie".
Choix judicieux quand l'objet de l'ouvrage est de faire replacer une oeuvre dans son contexte et donc dans la vie de son artiste.

Et force est de constater que de tableau en dit long sur Munch. Et Munch nous en dit long sur sa vie dans ce livre :
tout est basé sur les écrits de Munch, qui a parfois lui-même pris quelque liberté avec la réalité dans ses récits. Les dires de Munch sont croisés avec les récits d'autres
témoins. de plus, à côté de Munch, l'auteur a desiré donner la parole à deux femmes qu'il a aimées : sa dernière passion, dont il a tenté de reconstruire le propos et ce avec brio, et la
compagne de sa maîtresse la violoniste Eva Mudocci, sur la base de leur correspondance et de sa biographie.

Cela nous donne un livre qui remet en cause les jugements que l'on peut avoir sur Munch, sur son oeuvre et sur son rapport aux femmes. Et on découvre en fait qu'il a eu des
rapports sereins, respectueux, harmonieux, mais détachés avec plusieurs femmes.
Et qui tout trouve son explication une fois sa famille présentée : "Voilà donc la famille dans laquelle j'ai grandi, voilà les femmes qui m'ont entouré et dont la présence m'a contraint ou m'a aidé à me construire, voilà les angoisses de maladie, de folie, de péché qui ont conditionné ma vie."

Il y parle de sa relation avec Tulla Larsen, liaison destructrice à plus d'un titre : " La soirée de ma première rencontre avec Tulla Larsen, à Oslo en août 1898, marqua le début des pires années de ma vie, années durant lesquelles je sombrai dans l'alcool et où mon esprit accosta aux rivages de la folie. Mais ce furent aussi les années où j'eus le sentiment de peindre mes tableaux les plus puissants.". Il ira jusqu'à perdre un doigt lors de leur dernière rencontre....

Mais revenons sur cette Danse de la Vie et laissons la parole à Munch :

"Ce fut pendant le terrible été de 1899 que je commençais à peindre La Danse de la vie. J'avais déjà envisagé l'ensemble de la Frise de la vie quelques années plus tôt, et même si je n'avais pas encore choisi précisément le sujet de tous les tableaux de ma Frise, je savais déjà que cette Danse en serait l'oeuvre centrale, décrivant l'instant exact où l'amour naissant devient destructeur, où tout bascule. Je ne voulais pas présenter mes toiles individuellement mais les intégrer dans un ensemble cohérent – ce que personne n'avait encore jamais fait. Pris un par un, les tableaux, écrivis-je alors, « sont principalement des notes, des documents, des brouillons, de la matière première », alors que constituer une frise, non seulement les rendait plus sensibles et compréhensibles, mais surtout créait une oeuvre plus large qui les dépassait."

Un tableau qui reprend une construction qu'il a déjà mise en oeuvre :
trois images de la femme, trois archétypes, trois Grâces, trois âges, trois moments réunis dans une même image : la vie est une danse, un cycle, un éternel retour.
l'adolescente heureuse en blanc, pleine d'espoir et d'illusions,
la femme adulte en rouge, amoureuse et dominatrice,
et la femme délaissée en noir, aigrie et désabusée.
Ces trois femmes semblent centrées sur l'homme, sur ses désirs à lui, ses attentes, ses déceptions, son jugement : elles existent en fonction de lui.

Avant de commencer à peindre, il écrivait dans son carnet :
"Je danse avec mon premier amour, c'est un souvenir d'elle. Arrive la femme blonde, souriante qui veut prendre la fleur de l'amour, mais la fleur ne se laisse pas prendre. de l'autre côté, la même, vêtue de noir, regarde tristement le couple qui danse. Elle est rejetée, de même que je fus rejeté par ma cavalière, et au fond la foule en délire et ses embrassades sauvages."

Pour mieux comprendre son oeuvre et ce coup de pinceau reconnaissable une dernière clé nous est offerte :
" Mais c'est quand j'ai réalisé L'Enfant malade en 1885 que j'ai compris quel peintre je deviendrais. Dans ce tableau montrant ma soeur dans son lit peu avant son décès, j'ai voulu traduire ma douleur à la mort de Sophie et en faire une douleur universelle. Au-delà de la représentation d'une scène tragique et émouvante, cette peinture vint des tréfonds de mon âme. Cette distillation de ma douleur, cette catharsis de mes émotions, de ma peine, de ma culpabilité d'être en vie, cet exorcisme quasi chamanique, je n'ai pu les peindre qu'au terme d'un combat physique avec la toile : j'ai accumulé les couches de peinture, puis, comme en transe, je les ai ensuite attaquées avec le manche du pinceau, j'ai labouré la peinture encore fraîche, j'ai gratté, creusé, sculpté le visage de ma soeur, j'ai mis la toile à nu par endroits, j'y ai fait couler de la peinture liquide comme des larmes. J'ai bu le calice jusqu'à la lie, ma douleur s'est inscrite dans la pâte, dans la toile, dans la matière même. Ce n'était plus seulement une représentation, c'était une action, un geste, un cri. Je pourfendais ma peine, mon échec, ma perte, je dansais devant la toile, allant, venant, reculant, pleurant, criant, effondré, épuisé. Je crois que personne n'avait jamais peint ainsi : tous les critiques ont hurlé au scandale, m'ont accablé d'insultes ; ce tableau était bien trop radical pour eux. Plus jamais je n'ai peint avec autant de fureur, d'engagement, de fusion avec la toile. Exécuter ce tableau fut l'acte fondateur de toute mon oeuvre."

Autant de mots qui donnent envie, comme à chaque fois avec ces ouvrages de dépasser les pages, d'en ouvrir d'autres, d'aller voir les tableaux, bref déborder des cadres, sortir des toiles,.. .

Pour conclure cette critique je me permets de citer Karl Ove Knausgard qui dans son livre "Tant de désir pour si peu d'espace" écrit :
"La sensibilité exacerbée engendrée par cette suite de deuils, et par une figure paternelle lointaine, parfois trouble sur le plan religieux, tantôt bienveillante et tantôt brutale, a donné un enfant, un adolescent puis un adulte qui avait si peur de perdre ceux qu'il aimait qu'il a pris les choses en main et détruit ses relations avant qu'elles aillent trop loin. Petit à petit, Munch a soigneusement évité d'aller où il risquait de souffrir : c'est devenu une stratégie de vie."
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