Devant la porte de l'hôtel - ils avaient déjà pris congé l'un de l'autre - Henry fit demi-tour. Pouvait-il poser une question personnelle? Lagutin hocha la tête. Pouvait-il savoir d'où venait son allemand? Lagutin sembla se réjouir plus que s'étonner de cette question et dit :
- De Saratov bien sûr, de l'université! Nous avons même un club d'allemand, et quand certains de vos écrivains - ceux qui habitent nos coeur - fêtent leur anniversaire, nous pensons à eux et leur rendons hommage par des lectures, du café et des tartes maison.
Toi, tu sais à quoi tu veux arriver dans la vie ?
Quand j'entends le mot "arriver", cela me fait aussitôt penser
à "gare d'arrivée".
J'entends l'annonce : "Terminus, ici terminus, tout le monde descend".
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Si j'avais su quel plaisir me procurerait le travail au bureau des objets trouvés, j'aurais demandé ma mutation bien plus tôt.
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- Ah, Henry! Personne n'est irremplaçable. Tu n'imaginez pas comme c'est facile nous remplacer. Il faudrait juste se l'avouer assez tôt. Une porte se ferme : quelqu'un est parti ; une porte s'ouvre : quelqu'un entre.
Eh bien, ce qui me plaît --- et même plus que plaire ---, c'est de rencontrer tous les jours des perdants, des gens qui viennent nous déclarer une perte. Jamais je n'aurais imaginé tout ce qu'on peut laisser traîner, oublier ou bien perdre dans l'enceinte d'une gare. Et jamais je n'aurais cru qu'on ne découvre les gens sous leur vrai visage qu'ici, quand ils viennent signer une déclaration de perte : ces jérémiades, ces protestations, ces remords. Et cette joie quand ils entrevoient un espoir et que je parviens à les consoler. Parfois, quand je peux rendre à quelqu'un ce qui lui appartient, j'éprouve une joie aussi grande que la sienne.
....Mon Dieu quand je pense à tout ce que j'avais déjà accompli à ton âge. En tout cas j'avais déjà trouver ma voie. Je savais à quoi je voulais arriver. Toi, tu sais à quoi tu veux arriver dans la vie ?......
--- Quand j'entends le mot "arriver", cela me fait aussitôt penser à "gare d'arrivée". J'entends l'annonce : "Terminus, ici terminus, tout le monde descend.
"- Je suis désolé, Henry, mais je ne trouve pas cela drôle, pas drôle du tout. On doit quand même fixer un but à son existence, non ? On peut bien traînailler un certain temps, gâcher les premières années de sa vie, mais un jour, le moment est venu de se décider et d'agir. Tu me permettras de te dire qu'un homme aussi capable que toi pourrait être plus avancé, beaucoup plus avancé.
- Bien sûr que je te permets, mais je te prie de comprendre que cela ne m'intéresse pas d'avancer. Je ne veux pas faire carrière. Je ne veux pas gravir les échelons pour atteindre la situation que tu évoques. Je laisse ça à d'autres.
- Mais qu'est-ce que tu veux, alors ?
- Je veux me sentir bien au travail et je veux qu'on me laisse tranquille, qu'on m'épargne toute cette cavalcade et ce tumulte.
Son oncle commençait à se fâcher.
- Eh bien, mets-toi à la recherche d'un autre monde ! s'exclama-t-il. Un monde où tu trouveras tout ce qu'il te faut pour te sentir bien ! Un monde où tu pourras vivre entièrement à ta guise. Seulement, je crains que tu ne doives chercher longtemps. Et par ailleurs, il ne faudrait pas que tu oublies qu'on doit d'abord mériter sa préretraite, travailler pour y avoir droit et la mériter."
Tu peux arracher la flèche qui t'a touché, mais les paroles restent en toi à jamais.
Celui qui s'en fait trop a toujours des bourdonnements d'oreille.
'Ne m'en veux pas, Henry, mais souvent je crois que tu prends tout trop à la légère.
Tu vis un peu comme ci comme ça, tu fais une chose, puis une autre, on te pardonne comme on pardonnerait un enfant, un gentil enfant, c'est vrai. En tous cas maman le fait.' Après un pause elle dit: 'Sans but, je veux dire, tu vis sans but.'
'C'est ainsi que je m'en sors', dit-il.