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Critique de LeScribouillard


Une musique joviale toute d'envolées de violons retentit dans la pièce. Nathan arrive en courant.
« Eh, Sylvain, Sylvain ! Y'a une nouvelle opération Masse Critique !
— Mais enfin Nathan, tu sais bien que je ne lis jamais de non-fiction !
— C'est trop tard, Sylvain ! J'ai commandé un essai universitaire de 400 pages !
— Ignoble petit frère ! Tu vas tâter de ma chaise à roulettes !
— Hé hé hé… Deux ans que j'arrive à l'embêter avec ça ! Merci, Les Presses de l'Enssib et Babelio ! »

Saurais-je faire une critique pertinente du livre qui m'a été envoyé ? C'est en m'apercevant de la précision de chacune des informations fournies par cet essai et l'attention que l'on me porta par un mot des éditions joint au colis que je me suis rendu compte de l'ampleur de la tâche. En tant que simple étudiant de Lettres & Arts, je n'ai effectivement que peu d'expertise comparé à un professeur qui a consacré des années de sa vie à se pencher sur la bande dessinée avec le plus grand sérieux ; ceux qui me connaissent savent que je suis friand de critiques légères et espiègles, quand bien même j'essaye d'apporter depuis des années un propos de plus en plus pointu sur les oeuvres chroniquées de manière à ne pas sombrer dans cet éloge détestable que font certains de la pure subjectivité (d'où le fait que je ne parle quasiment plus de musique étant donné mes lacunes importantes). Qu'on soit donc bien clairs tout de suite : bien que m'intéressant de près depuis l'enfance à la bande dessinée franco-belge, je ne possède pas d'expertise dans ce domaine et ne serais donc pas à même de valider ou non le savoir de l'auteur. En revanche, je m'engage à faire le plus de remarques constructives possibles sur la forme, les réflexions développées et l'exhaustivité déployée.
C'est en effet une grande reconnaissance que je voue à Sylvain Lesage de se pencher ainsi sur un sujet dénigré durant des décennies : tenter une approche analytique d'un genre ou d'un format trop souvent dénigré par les élites est un exercice auquel nous devrions tous nous confronter régulièrement : l'éclectisme est la seule manière de se cultiver suffisamment pour poser un regard neuf et objectif sur le monde, ce qu'encore bien trop de personnes négligent en France. C'est cet éclectisme qu'il va prôner dès la préface en dénonçant la hiérarchisation que l'on se fait de la bande dessinée avec Tintin tout en haut et Mickey tout en bas : ici, le but n'est pas de critiquer mais d'analyser, pas de juger mais de comprendre.
Et puis tout simplement, enfin un essai qui se penche sur la diffusion de la BD franco-belge durant son âge d'or ! Si vous demandez dans la rue à un quidam « Comment ça s'est passé, cette période ? », il y a de fortes chances qu'il vous réponde « Heu… Bien, je suppose ». La vérité est plus complexe et soulève des questions que je me pose depuis que je sais lire : comment sommes-nous passés du stupide illustré décrié par les mères de milliers de Petits Nicolas au 9e art accepté dans toute sa splendeur ? quelle est la raison pour laquelle nous avons délaissé le lettrage à la française* ou le format à l'italienne** ? et pourquoi diable opter systématiquement pour des albums de 48 pages quand un roman peut en faire des centaines ?
Je me permets juste des remarques sur les points suivants :
- Chaque titre de chapitre constitue une référence à une bande dessinée. Celle-ci est expliquée juste après le sommaire (pourquoi expliciter ce qui aurait pu rester une subtilité littéraire, c'est sans doute par souci de clarté universitaire), mais il manque celle du chapitre VI sur Les Cités obscures (d'ailleurs, le sommaire oublie de mettre le titre de ce chapitre en italique).
Les paragraphes expliquant dans la préface que cet ouvrage est issu d'une thèse en ligne arrivent en plein milieu d'explications historiques ou générales, et auraient gagné à posséder une place à part.
- Quand p 70, on parle de « Futuropolis », parue avant les années 50, comme l'une des rares BD de SF française, il aurait fallu préciser plus clairement qu'on parlait bien de cette époque seulement (j'ai passé une bonne partie de la soirée à lister toutes…).
- L'hypothèse selon laquelle Vaillant refuserait l'album car trop bourgeois est mentionnée deux fois, créant une légère redondance.
- Hergé exige des autres dessinateurs un trait semblable au sien ; or certains disent qu'il tenait Franquin en admiration… Une rumeur sur laquelle il aurait été intéressant de se pencher.
- Enfin, si le livre se fait extrêmement exhaustif, une ou deux questions restent en suspens : comment en est-on arrivés à faire des aventures quasi-exclusivement de 46 pages (même si la réponse se devine assez facilement : une planche dans le journal par semaine, à raison d'un contrat d'un an et six semaines de congé), et le format courant qui en découle, nommé 48 CC (seulement mentionné d'ailleurs sur la quatrième de couverture), possède un titre énigmatique sur lequel il aurait été bon de se pencher.
Mais ça n'en fait pas moins un ouvrage extrêmement précis, s'intéressant à tous les secteurs de l'édition, parmi lesquels certains dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Ajoutons à cela que le livre, au-delà des quarante années étudiées (1950-1990), se penche aussi fréquemment sur l'avant et l'après, l'entre-deux-guerres comme les années 90. Bref, si un jour vous vous aventurez dans les tréfonds de votre BU, n'hésitez pas à prendre ce livre pour vos recherches, ou tout simplement comme plus pour votre culture…

* le lettrage à la française (en fait né en Suisse avec l'invention de la bande dessinée) consistait à introduire un texte explicatif sous des images muettes plutôt que d'utiliser les bulles et les cartouches (cf. Bécassine, Les Pieds Nickelés…).
** Format horizontal plutôt que vertical, parfois d'une vingtaine de pages seulement : on citera les Sylvain et Sylvette de Maurice Cuvillier et des séries Fleurette.
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