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Critique de Fabinou7


Psst, vous avez 5 minutes pour parler d'inceste ?

Le spécialiste de l'éthique (voir « L'éthique aujourd'hui : Maximalistes et minimalistes ») Ruwen Ogien, dans son ouvrage de philosophie expérimentale « L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine » rapporte les résultats de l'expérience suivante, menée aux Etats-Unis dans la « psychological review » :

On soumet à un échantillon varié de participants un « problème » moral : Julie et Mark sont frère et soeur, ils sont en vacances, ils sont majeurs, l'une prend la pilule, et ils décident d'avoir un rapport sexuel, Mark se protège également, ils décident de ne pas recommencer et n'en parleront jamais à personne.

Question : est-ce moral ?

Sans entrer dans le débat philosophique portant sur la moralité des « fautes sans victimes », il est intéressant de noter que la vigueur de la condamnation par les participants contraste avec l'incapacité de dire ce qui est immoral. En effet, aucun enfant n'est conçu, aucun traumatisme n'est rapporté dans le problème posé, et enfin aucune condamnation morale de la société ou des proches puisque l'épisode est gardé secret.

D'où nous vient donc cette aversion quasi-spontanée vis-à-vis de l'inceste ?

***

« On façonne les plantes par la culture, les hommes par l'éducation » Jean-Jacques Rousseau. Ce sujet philo, nature/culture, fait partie des paires habituelles avec « en acte/en puissance, inné/acquis » etc. L'ethnologue français Claude Lévi-Strauss va tenter d'apporter une réponse anthropologique au fameux « mythe d'Oedipe » que la psychanalyse freudienne expliquait déjà comme un refoulement pulsionnel relatif à l'inconscient.

« Où finit la nature ? Où commence la culture ? » Jusqu'à Lévi-Strauss, l'état de nature était une fiction philosophique, Rousseau le souligne d'ailleurs, appelant les philosophes à ne pas tomber dans la croyance en cette hypothèse confortable et qui sert de point de rupture à une diversité de théories politiques sur la généalogie du pacte social, ainsi pour Locke l'état de nature est un état de paix sociale alors que pour Hobbes c'est l'état de guerre.

C'est en étudiant la parenté et notamment les interdictions d'alliances entre les proches parents au sein d'un même groupe humain que Lévi-Strauss découvre la charnière entre nature et culture.

Pourtant, la prohibition de l'union au sein du cercle le plus proche de la parenté ne recouvre pas la même réalité ni le même degré d'interdit d'une communauté humaine à l'autre, et ne veut bien évidemment pas dire que la prohibition n'est jamais transgressée ou que le degré de tolérance vis-à-vis des différents types de transgressions ne varie pas de même.

Dans une perspective structuraliste (cad par comparaison), les anthropologues notent des différences notables dans les modalités de l'interdit de l'inceste en fonction des groupes humains. Que ce soit par des interdits légaux, des crimes sexuels, le champ que recouvre l'inceste est infiniment variable, à l'exemple du mariage entre cousins légal ou proscrit selon les sociétés.
Mais partout, le tabou de l'inceste est présent au fondement des règles de la parenté humaine.

Ainsi nous avons là une donnée universelle et spontanée. A ce titre, elle représente un caractère lié à la nature : l'universalité. Dans le même temps, elle représente une règle, dont le contenu normatif est relatif d'une société à une autre et c'est là un caractère lié à la culture : la relativité.

Mais alors, on repose la question, comment passe-t-on de la nature à la culture ? C'est la question de l'origine de la prohibition.
Est-ce par eugénisme que les tribus d'Amazonie évitent les alliances consanguines ? Est-ce une répulsion des relations « incestueuses » à chercher dans la psyché des humains ? Ou est-ce (plus retord), avec Emile Durkheim, un vestige de croyances totémiques liées à la répulsion du sang menstruel ? Et qu'en pense Lévi-Strauss ?

Pour le savoir, il vous faudra enfiler votre panoplie d'Indiana Jones et partir à la rencontre des sociétés dites « primitives » (loin des clichés terrifiants type adeptes du « mythe de Cthulhu » d'un H.P Lovecraft !), bref : lire ce petit livre (50 pages et un dossier thématique).

***

Depuis Lévi Strauss, les structures de la parenté ont évolué (mariages entre personnes de même sexe, mariage posthume etc) mais si la dynamique n'est pas figée, le propos du livre demeure pertinent, le tabou de l'inceste est un invariant qui continue de questionner quant à ses origines.

En revanche, les « apports » de cet interdit semblent avoir joué un rôle dans le développement des sociétés humaines. L'exogamie, c'est-à-dire l'obligation des mariages en dehors de la famille, a participé, comme le souligne Maurice Godelier, des échanges entre les clans et tribus humaines. Pour cet anthropologue, la prohibition de l'inceste fait la synthèse entre l'alliance et la descendance.

L'évolution de la connaissance la plus importante depuis cet ouvrage de 1949 vient des travaux sur ce que Dominique Lestel appelle la « culture animale » : le langage chez les primates, l'usage des outils (même chez les corneilles), mais aussi les structures familiales et l'évitement de l'inceste chez les groupes de mammifères sociaux notamment réinterrogent les frontières entre la nature et la culture.

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