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Critique de Malivriotheque


Michael Lewis, ancien trader devenu écrivain analyste du monde de la finance, livre le récit des évènements qui ont conduit à la crise économique mondiale des subprimes de 2007-2008 et comment certains ont su prévoir la catastrophe, parier contre la santé de l'économie américaine et gagner des millions de dollars quand des millions de citoyens ont, eux, tout perdu en même temps que Wall Street s'écroulait...

"Pourquoi prendre des décisions intelligentes quand on peut s'enrichir en prenant des décisions idiotes ?" Cette phrase que l'on peut trouver dans l'épilogue résume toute la folie qui a mené à l'une des pires tragédies économique, financière et sociale que le monde ait connue.
Mais attendez, et si on commençait par le début plutôt que par la fin ? En juin 2008, j'ai eu mon Master au bout de cinq ans d'études à la fac. Pleine d'ambitions et de rêves pour l'avenir, j'ai commencé à m'aventurer sur le marché de l'emploi, comme tout jeune adulte diplômé en droit de commencer sa vie. Trois mois après, en septembre 2008, la crise est arrivée. Pendant cinq ans et demi j'ai essayé de trouver dans ma branche, sans jamais y parvenir. Et puis, Jules et moi avons quitté la France.
Je ne suis qu'une parmi des millions et millions d'autres à avoir longuement été impactée par cette crise venue tout droit de Wall Street, laquelle a couvé et biberonné pendant de nombreuses années, avec l'aide de structures financières d'autres pays, des produits et montages financiers pourris jusqu'à l'os dans le but de se faire un pognon de dingue sur le dos des contribuables américains.
En 2015 est sortie une adaptation de ce livre. Je l'ai vue, mais tout allait tellement vite dans les explications que je me suis dit "un jour, je lirai le livre, pour mieux comprendre". Ô, combien j'ai compris...
Si les explications de Lewis peuvent parfois être répétitives et les flashbacks généralement un peu trop nombreux au point de rendre impatient le lecteur d'arriver au moment fatidique où tout s'est effondré, l'auteur s'attache néanmoins à rendre les choses le plus clair possible, même si la complexité des opérations reste inatteignable pour le commun des mortels hors du système. Ce que l'on pige toutefois, et qui est très bien expliqué et démontré tout au long de l'ouvrage, c'est que les banques et la Bourse américaines se sont lancées dans les années 2000 dans la création de produits financiers extrêmement dangereux pour le citoyen lambda qui tente juste de faire sa vie dans ce monde de brutes. Cela a notamment commencé par l'autorisation d'accorder des prêts à des gens absolument pas solvables, des gens qui n'avaient absolument pas les moyens de rembourser un prêt pour pouvoir s'acheter une maison. En créant des prêts immobiliers au taux d'intérêt d'appel ridicule, les banques se sont ouvertement fichu de gens (pour la majorité honnêtes) en leur promettant qu'ils pouvaient accéder à la propriété. Au fur et à mesure des années, le type de prêts qu'ils proposaient demandaient de moins en moins de garanties, les banques faisaient de moins en moins de vérifications, laissant des personnes au chômage, déjà endettées, au profil peu fiable en matière de remboursement, voire qui avaient menti sur leur formulaire, signer des prêts pour des sommes bien supérieures à leur taux d'endettement. Et ce, sans bien sûr leur révéler qu'après deux ans de taux d'intérêt d'appel ridiculement bas, un taux variable viendrait prendre le relais. Et c'est ce taux variable qui a empêché très vite de nombreux nouveaux acquérants de rembourser leur prêt. En un laps de temps très court, le taux de défaut de paiement a grimpé. Mais cela, ça n'avait pas l'air de gêner les banques.
Car pendant ce temps-là, celles-ci s'enrichissaient à mort via un nouveau passe-temps qui consistait à créer des paquets de ces prêts en fonction de leur qualité, un paquet triple A contenant les prêts les plus susceptibles d'être remboursés tandis qu'un paquet triple B renfermait les contrats les plus susceptibles de ne pas être honorés et très vite. Sauf qu'en fait, la majorité des paquets créés étaient composés d'un savant mélange intraçable de tous les types de prêts aux notations variées, floutant ainsi complètement leur valeur, sans même que les banques, traders et compagnie ne sachent ce qu'il y avait réellement dans ces paquets. Et tant qu'à faire, les agences de notation comme Moody's et S&P, censées évaluer et noter ces paquets, ont toujours accordé de bonnes notes croyant soi-disant qu'ils étaient à 80% composés de triple A, sauf qu'en réalité ils étaient souvent à 95% composés de "merde" (le terme vient de l'auteur). Ces agences de notation, censées réguler un marché, le vérifier et être fiables, ont été en fait complices d'une fraude massive.
Mais les banques s'en fichaient n'est-ce pas ? Après tout, elles se faisaient des milliards avec ces produits qu'elles vendaient et se refilaient en masse. Et surtout, aucune ne croyait que le marché immobilier américain pouvait s'effondrer. Pourquoi ? Parce que ça n'était tout simplement jamais arrivé, vous voyez ? du coup, comme l'impossible ne pouvait se produire, des paris gigantesques se sont constitués au fil des années (c'est en partie là qu'il est très dur de comprendre pourquoi les banques vendaient et achetaient tous ces types de paquet), les responsables étant persuadés que jamais d'un seul coup partout en Amérique il y ait plus de 8% de défauts de paiement.
Sauf que ces paquets créés de tout et n'importe quoi étaient formés de telle manière que si une catégorie de notation faisait défaut, elle impactait directement la catégorie du dessus, et ainsi de suite... Une vraie tour jenga dans l'hypothèse d'une crise.
Personne ne comprenait ces paquets, de quoi ils étaient composés, quelle était vraiment leur valeur, ce qu'ils pouvaient provoquer, et tout le monde s'en foutait parce qu'ils donnaient à quiconque en possédait des couilles en or et que de toute façon le marché ne POUVAIT pas s'effondrer car c'était du jamais vu. Une confiance aveugle, une foi aveugle dans le fric, le dédain flagrant pour la vie des contribuables à l'autre bout de ces prêts.
Parallèlement, une petite poignée de traders a commencé à analyser ces produits, comprenant à la fin qu'ils étaient des bombes à retardement avant de se mettre à parier contre eux, ce qui s'appelle "shorter". Ils ont ainsi créé un nouveau type de pari très noir, car ils pariaient sur la faillite de l'économie américaine. Les banques ont ri, se frottant les mains d'avoir bien pu pigeonner des gens qui leur filaient du blé en attendant un improbable cataclysme. "Vraiment trop cons ces mecs, mais bon on s'en fout, ils nous paient des sommes astronomiques, nos profits montent en flèche, j'ai hâte d'avoir mes millions de bonus à la fin de l'année."
Ces "mecs trop cons" avaient pourtant vu juste, interprétant correctement des chiffres que la majorité refusait catégoriquement de voir, même preuve à l'appui.
On suit donc le parcours de ces types qui ont gagné des sommes monstrueuses en pariant contre le système en place qui baisait ouvertement le peuple et qu'aucun organisme ne s'est amusé à contrôler, pas même le gouvernement. La Bourse a fraudé en échouant à appliquer les règles de notation, s'ingéniant à inventer tout et n'importe quoi comme prétexte pour ne pas voir ce qui leur arrivait pourtant dans la tronche, et pas même le Trésor américain ne s'est posé de question.
Tous ces petits paquets bidons se sont promenés partout sur la planète, voilà en partie pourquoi cela n'a pas impacté uniquement les États-Unis. Car quand le taux de défaut de paiement a atteint des chiffres jamais vus auparavant, toutes les banques qui avaient vendu des paris contre leurs petits paquets chéris ont dû payer les parieurs. Sauf que l'appât du gain les a laissées parier bien plus que leurs avoirs n'étaient capables de couvrir. Et pour ne pas laisser tout son système bancaire et financier couler, le gouvernement est intervenu et qui a donc payé pour renflouer les banques qui avaient fait n'importe quoi ? le contribuable américain, encore, le seul qui se soit fait entuber doublement dans l'histoire. L'effet boule de neige couplé à l'effet boomerang. du pur dégueulasse, encore plus quand on précise que tous les acteurs qui ont mené à la faillite de leur boîte ou ont contribué à faire perdre des milliards à l'économie américaine et mondiale sont presque tous sortis indemnes avec leurs tout à fait légitimes millions d'indemnité. Rares sont ceux qui ont été interpellés pour faute grave, fraude et autres.
Peu nombreux furent ceux qui virent le coup venir, il n'y a d'ailleurs qu'eux qui s'en sont bien sorti. Peu nombreux furent ceux qui comprirent ce qui se passait, face à la majorité qui ignorait complètement ce qu'elle manipulait comme produits.
Voilà la réalité qui a foutu la vie en l'air de millions de gens : un système bancaire et financier qui n'en avait strictement rien à carrer de la populace sans laquelle pourtant il n'existerait pas.
Ce livre, qui a déjà dix ans, a de quoi faire réfléchir sur l'actualité de ces systèmes. Car même si après la crise certains types de régulation se sont mis en place, rien ne permet d'affirmer qu'un évènement similaire ne peut se reproduire. D'autant plus que la Bourse américaine a montré récemment que son évolution n'était pas toujours adéquatement corrélée aux évènements en cours. Peut-on encore lui faire confiance ? Les garde-fous instaurés sont-ils réellement efficaces pour protéger la population américaine d'un nouveau crash dû à la finance ? Jules et moi sommes passés par la case prêt immobilier aux US il y a trois ans. Je confirme que nos finances et profils d'emprunteurs ont été étudiés à la loupe, à tel point que certaines exigences étaient à nos yeux ridicules. Protection de la banque ou protection de l'emprunteur ? Une réponse à 50-50 paraît compliquée à émettre. Enfin, même si les banques ne mettent désormais plus en avant sur leurs sites des prêts à taux variable et privilégient grandement ceux à taux fixe, cela ne veut pas dire que de tels produits n'existent plus. On trouve sans problème et partout des produits avec les 5 ou 7 premières années à taux fixe avant de passer à un taux variable. Ce n'est plus les 2 ans d'il y a quinze ans mais sur de très grosses sommes cela constitue quand même un pari dangereux quand on sait à quel point le marché peut être volatile, gagnant ou perdant parfois pour un oui ou pour un non.
Ma critique est ouvertement familière, premièrement parce que ni l'auteur ni ses invités ne s'embarrassent de jolis mots et deuxièmement parce que tout ce qui s'est passé est tellement hallucinant et infect qu'il est difficile de s'empêcher d'utiliser des mots aussi moches que les actions commises par tous les pourris qui ne comprenaient rien à leur job mais qui étaient quand même payés des millions pour faire n'importe quoi.
Ce livre permet d'appréhender un moment grave de ce début de 21ème siècle ainsi que d'ouvrir les yeux sur un monde fermé qui continue d'attirer les foules qui aiment se faire du fric sur le dos des autres en manipulant leur argent.
Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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