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Critique de Manetheren


Ah, le combat de deux fauves politiques d'un autre temps. L'un petit et teigneux. L'autre petit et moelleux. Quelle savoureuse bande-dessinée politique ! Voilà une lecture qui m'a ramené à quelque adolescence absorbé par de captivants meetings politiques. Les noms d'oiseaux y fusaient avec élégance et tournures alambiquées.

L'Obsession du Pouvoir est un titre qui peut se lire sur plusieurs niveaux. D'un côté, il évoque l'obsédante quête du pouvoir de François Hollande et Nicolas Sarkozy qui a provoqué leur permanente confrontation. de l'autre, ce titre évoque la fascination exercée par le pouvoir sur nos deux coquinous de journalistes Davet et L'Homme. Détestation ou affection : qu'on soit d'accord, cela ne les a pas empêché de les étaler. On pourrait presque lire un troisième sens : l'obsession du journalisme d'investigation de pouvoir défaire des carrières politiques.

Sous couvert de parler politique, la bande dessinée retrace surtout la relation de Fabrice L'Homme et Gérard Davet. Certes, les affaires restent le sujet principal du livre, mais le vrai moteur est du récit est l'amitié entre les deux journalistes, leurs parcours respectifs au fil des années dans leurs différentes rédactions.

C'est cet aspect qui est le plus intéressant : comment un journaliste politique se retrouve à attaquer le monde du sport dans l'équipe Mag ; comment le journalisme d'investigation, notamment lorsqu'il est militant, résiste au rude assaut du monde politique ; à quel point il est difficile de faire surgir suffisamment d'indices pour distinguer le fait de la rumeur ou de la calomnie.

Dans la bande-dessinée s'affiche aussi la méfiance des autres journalistes qui demandent régulièrement si nos deux zigotos sont "aux ordres". C'est le sujet bien contemporain de la distance entre médias et politique. La bande dessinée vient jeter une petite lumière sur le rapport qu'entretiennent ces deux corps. Les visites en douce d'hôtel ministériel, le besoin d'aller récupérer des informations en faisant attention à ne pas se vendre. La bande dessinée met en avant la thématique de la liberté du journalisme, dans ses extrêmes. Dans un clan, on refuse que quoique ce soit ne se dise et qui porte plainte à répétition. Dans l'autre, on dit tout sans se prémunir, sans se donner le moyen de relire, de rectifier, on est trop confiant et au final, se fait berner. L'Obsession du pouvoir ne fait que souligner la réalité des relations entre politique et journalisme, une réalité qui a toujours prévalu. Quelles sont les frontières entre ces deux aspects de la vie publique ? Une quelconque barrière a-t-elle jamais suffi à éviter la porosité entre ces deux mondes ? Difficile de croire qu'il y a eu une époque où acteurs politiques et relais d'informations n'ont pas été étroitement connectés. Y compris dans le monde actuel des réseaux sociaux et de l'information ultra-rapide, où certains peuvent penser, à tort, qu'ils échappent à l'influence politique.

Sur les affaires, pas de révélation particulière sur la lutte à mort (politique, rassurez-vous, nos deux bougres sont toujours bien vivants...), L Histoire, on l'a vécu ou connu. Je peux concevoir qu'on ne puisse pas tout mettre dans une bande-dessinée, il reste que la bande dessinée fait impasse sur un nombre de séquences succulentes. Qu'est-ce que j'aurai donné pour une bonne raffarinade "the yes needs the no to win against the no... allez au revoir", l'excellent "j'ai la pêche et avec vous, j'ai la super pêche" (que j'utilise régulièrement avec mes collègues) ou la séquence terrible de l'affaire Cahuzac. Plus personne n'ose encore le regarder les yeux dans les yeux, celui-là...
On retrouve tout de même d'excellentes séquences : comment Villepin essaie de planter Sarkozy et est à deux doigts de se retrouver accrocher au croc de boucher, la naissance progressive et moustachue de Mediapart. Petit plus pour la très belle case Kerviel, avec la Société Générale et ses milliards qui partent en fumée.

Enfin, cette bande dessinée, c'est surtout une oeuvre à taille très humaine : elle met en dessins l'amitié entre Davet et L'Homme. Les deux journalistes voit leur relation éprouvée durant leurs années de séparation, on peut sentir à certains moments querelles et jalousies pointer, mais finalement, l'amitié reprend le dessus. Une bonne séquence, assez empreinte d'émotion, permet d'en témoigner. Cette dimension humaine permet de voir aussi que tout bons journalistes qu'ils sont, ils ne sont pas exempts d'erreurs. Parfaitement humains donc parfaitement influençables malgré leurs formations et leur esprit critique. S'ils s'étaient montrés comme chevaliers blancs, la BD aurait été imbuvable.

L'Obsession du pouvoir est une BD agréable à lire, à voir (gros kudos pour Pierre van Hove qui donne de la vie aux personnages et rends leurs traits immédiatement reconnaissables et drôles !) aiguisée par les masterminds d'un bon nombre de révélations de ces derniers quinquennats. le journalisme d'investigation a encore quelques beaux jours devant lui.
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