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Critique de HordeDuContrevent


Quand la science-fiction soulève le voile, pour ne pas dire plus tard que nous ne savions pas…

Quelle idée de lire ces nouvelles durant cette période de festivité…mais quelle idée ! Sans doute aurais-je du attendre un autre moment car j'ai été, le temps de cette lecture, très loin des douceurs chocolatées de cette période de Noël, mis à part, peut-être, la couleur de ma gourmandise préféré…Noir à 90%...Car si la couverture semble lumineuse, juste futuriste, le contenu de ces dix nouvelles est en effet d'une noirceur absolue. Enfin, noir sous un soleil plus qu'éclatant, un soleil irradiant de ces rayons impitoyables les pauvres hères qui errent en cette canicule perpétuelle. Un noir aveuglant. Les étés à 42 degrés ne sont désormais plus que de lointains et doux souvenirs. Et malgré l'horreur que nous entrevoyons, impossible de lâcher ce livre exceptionnel. Je crois que chacun de ces dix diamants noir charbon restera ancré intimement en moi.

Jean-Marc Ligny imagine en dix nouvelles, dix légendes contées avec un talent certain, les conséquences concrètes du changement climatique via quelques tranches de vie de survivants. Pas de fin du monde apocalyptique, de fuite dans l'espace, d'invasion extra-terrestre, pas de miracles technologiques. Non, nous sommes dans le concret, le réel le plus terre à terre possible et les conséquences sont des évidences que nous pressentons déjà mais que nous nous acharnons à ignorer pour le moment : La montée drastique des températures, les paysages devenus déserts arides, terres nues parsemées de rares épineux chétifs et de squelettes d'animaux, l'absence d'eau, les mouvements migratoires, la décrépitude des femmes et des hommes revenus à l'âge médiéval au mieux, à l'âge de pierre au pire, la lutte pour la survie, le chacun pour soi, l'effondrement des sociétés et des valeurs humaines…avec cependant quelques lueurs d'espoir dans chacune des tranches de vie rencontrées….Enfin, parfois…
La science-fiction post-apocalyptique s'invite dans le réel sans que nous ayons besoin de faire un effort d'imagination très poussé, soulevant ce voile avec lequel nous tentons de tout recouvrir car jusqu'ici, tout va bien.

« Maintenant, il n'y avait que des ronces agressives, des chardons revêches et de la moisine, cette espèce de lichen vert-de-gris, mutant et hautement toxique, né probablement dans une quelconque soupe chimique ou zone irradiée et qui se répand comme un chancre sur la planète, tuant tout ce qu'il touche, sans rien pour l'arrêter. Surtout ne pas tomber dedans, car ça ronge la peau en quelques secondes. Même des chaussures en cuir n'y résistent pas, elle se désagrègent en moins d'une journée ».


Notons une écriture terriblement efficace, Jean-Marc Ligny arrive à nous faire ressentir l'émotion des personnages, l'absurdité de nos réactions lorsque des étincelles d'amour, des élans d'humanité nous guident, comme par exemple cet homme qui prend plaisir à tuer sadiquement les migrants tout en risquant sa vie pour sauver un chiot, la chute de chacune de ces nouvelles est implacable, plombante…
Il parvient avec talent à nous faire ressentir les affres de cette survie dans ce monde décimé où boire et manger deviennent la seule et unique obsession. Nos lèvres se gercent, nos gorges deviennent sèches, nos peaux se fripent, nos corps s'assèchent, quelques cloques éclatent sur nos bras devenus bâtons…
Sans parler de la plume, d'une poésie de fin du monde, qui m'a envoutée :

« Longue attente dans la fournaise qui grimpe inexorablement, au village immobile sous la chaleur qui tombe du ciel telle une chape de plomb fondu.
Longue attente dans les maisons aux fenêtres obstruées, dans les caves aux pénombres moites, sous les voutes de l'église encore un peu fraîches, à traquer la dernière goutte d'eau au fond des bidons.
Longue attente de la mort pour les vieux desséchés, des folies de la nuit pour les enfants sauvages, et pour tous les autres, du retour de l'espoir et de la fraîcheur du soir…Du retour du porteur d'eau ».


La nouvelle que j'ai préférée est celle du Porteur d'eau de laquelle j'ai extrait la citation précédente. Un road movie lancinant, haletant. Un homme, le maire d'un petit village, se voit contraint de partir seul avec une vieille mule pour aller chercher les 60 litres d'eau dont le village a droit à 15 km de là, la batterie de leur unique véhicule ayant rendu l'âme. Sa femme se meurt d'un cancer de la peau. Elle attend avec espoir un laisser passer pour Davos, ville où vit sa soeur, ville placée sous un dôme géodésique en Altuglas haute densité, au centre d'un vaste parc naturel enchâssé au sein des Alpes suisses, réservée à une certaine élite. Là elle pourra être soignée. Là elle pourra boire à sa soif et ne plus être irradiée par ce soleil devenu fou…Le texte entrelace la quête de l'eau du mari qui se transforme en une épopée terrifiante et l'attente à la lisière de la mort de cette femme, il entremêle l'avancée laborieuse et l'immobilisme dans une chaleur si accablante, si parfaitement décrite qu'elle en est palpable pour le lecteur. Ce d'autant plus que des scènes de vie sous le dôme nous sont dévoilées et le contraste est d'autant plus saisissant, l'espoir d'autant plus insoutenable…


Le format Nouvelles apporte beaucoup à cette sensibilisation écologique car il permet de découvrir une diversité de situations liées aux ravages du changement climatique, et ce dans des tons et des nuances de noirceur très variées. Certaines nouvelles mettent ainsi le focus sur l'émergence du fanatisme religieux dans ce monde à bout de souffle où les survivants sont prêts à suivre aveuglément n'importe quel gourou, d'autres se focalisent sur la survie en pleine nature en solitaire, l'homme étant un loup pour l'homme, quand d'autres montrent comment de petites communautés arrivent à organiser un semblant de vie, certains récits mettent sur le devant de la scène les tornades et tempêtes provoquées par ce changement climatique. Dans plusieurs nouvelles nous retrouvons la présence et l'importance du chien, soit seul compagnon vers lequel notre humanité s'exprime encore, de façon quasi-déespérée, soit horde plus forte que l'espèce humaine vouée à disparaitre.
Au gré de cette diversité de textes, les personnages abordés sont multiples, impossible de ne pas être touché par certains qui pourraient être vous, vos proches, vos amis, vos voisins…

Ce livre est un cri d'alarme. Un livre absolument nécessaire. Une SF engagée, sans être militante, une SF qui montre juste, en imaginant à peine. Une SF superbement écrite pour une cause qui concerne tout le monde. Une SF humaniste qui raconte la fin de l'humanité.
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