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Critique de Alzie


Vous auriez des craintes à envisager la vingtaine d'heures de vol qui vous séparent de Melbourne mais vous désireriez connaître l'Australie, je vous recommanderais en compensation l'embarquement immédiat pour ce pique-nique à Hanging Rock. Un moyen comme un autre et bien moins coûteux de vous assurer un dépaysement complet dans l'hémisphère sud sans les désagréments du décalage horaire. Imaginez le joyeux babillage d'une bande de jeunes filles le jour de la saint Valentin 1900 dans un pensionnat (de style victorien tout de même) perdu dans l'outback australien entre Melbourne et Bendigo (état de Victoria) : un pique-nique est programmé. du côté de Woodend et Mount Macedon et le site d'Hanging Rock est retenu. La beauté monolithique du rocher plusieurs fois millénaire offre un cadre idéal. Voilà planté le décor avec mise en scène d'un premier groupe de personnages autour desquels se noue l'histoire : personnel, directrice, collégiennes et institutrices du pensionnat excitées par une sortie de fin d'été. Ainsi commence le livre comme d'ailleurs le film de Peter Weir qui en est une très belle adaptation et qui capte si bien la part de mystère sous l'ambiance romanesque lumineuse et insouciante décrite par Joan Lindsay. Ces préliminaires avenants sont pimentés par l'avant-goût délicieux des victuailles appétissantes promises au fond des paniers. Les cinq chevaux attelés, la cohorte des filles gantées et chapeautées est embarquée, moins une qui doit rester. Mr Hussey brandit son fouet, rejoint aussitôt sur sa banquette par les trois inséparables qui vont faire parler d'elles : Miranda, Irma et Marion. A l'arrière, « dans une vibration de fine poussière rouge » et dans la lente dissolution des contours « d'Appleyard College », on devise et commente le paysage en attendant l'apparition du fameux rocher et surtout, de pouvoir se poser en contre bas dans la langueur de la saison chaude avancée…

Cette mousseline 1900 délicieusement rétro sur laquelle je me suis attardée ne s'adresse pas qu'à des romantiques décalé(e)s. Contre toute attente la partie de plein air annoncée va révéler son lot de surprises et prendre insensiblement au pied du rocher, tandis qu'apparaissent deux nouveaux protagonistes, un tour inattendu qui balaye l'illusoire euphorie initiale. Basculement de l'inconnu vers l'insondable lorsque les trois jeunes filles (citées plus haut), suivies d'une quatrième moins dégourdie, autorisées à s'approcher du rocher entreprennent impulsivement d'en explorer les flancs. Ayant largué bottines et cotillons et comme happées vers son sommet à travers l'inquiétante brousse australe trois ne reparaîtront plus. Tout comme l'une de leurs institutrices…. Tout est peint d'une manière élégante et raffinée. La suite parfaitement orchestrée, qu'il faut aller découvrir, gagne en intensité au fur et à mesure que le mystère s'épaissit tandis qu'hypothèses et conjectures ou rebondissements vont se succéder. La forte présence du rocher liée à son origine géologique lointaine et qui apparaît au début en arrière plan s' impose au fil des pages et dévoile finalement beaucoup plus qu'un simple paysage : la part cachée de quelque chose de tellurique ou de sacré dont il est le symbole dans l'imaginaire australien (cf. La fascination exercée par Ayers Rock sur les colons blancs depuis la fin du XIXe). le respectable rocher est bien là pour inquiéter, il renvoie aux très anciennes cultures qui ne sont pas nommées. Avec un art consommé de la suggestion et de la frustration la romancière transmue l'insignifiante excursion en une énigme béante. Déjouant tous les codes de l'enquête et supprimant du même coup les instruments classiques d'un possible et rassurant décryptage, elle laisse le lecteur pantois devant l'inexplicable. Rien ni personne ne se ressemblera plus, et si c'était le but ? Belle détente que ce roman là. C'est parfait.

Une note de bas de page de Joan Lindsay (p. 51), faisant état d'un tableau de William Ford peint en 1875, « dont se souvenait Miranda » ajoute-t-elle, renverrait à une possible source de son inspiration. Ce tableau existe, il est conservé à la National Gallery de l'Etat de Victoria et tout à fait visible en flânant un peu sur internet. « At the Hanging Rock », représente une scène de plein air au pied du rocher par une belle journée d'été, comme on aimait les peindre à l'époque. A bien la regarder on jurerait presque transposée, seule la mode a changé, l'esquisse de notre pique-nique 1900 telle que proposée en 1967 par Joan Lindsay, avant qu'il n'ait mal tourné…
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