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Critique de Presence


Il s'agit d'une histoire complète et indépendante.

Lors une soirée dans un appartement à New York en plein été, Bee (18 ans) fait la queue devant les toilettes. L'un des invités en sort et la porte se referme. Elle se rouvre et sa copine l'attrape par la main pour l'attirer vers l'intérieur (elle vient de se taper l'invité en question). Pendant que Bee fait ses besoins, elles papotent un brin évoquant sa virginité, l'approche de sa période de règles et son départ le lendemain. Bee a décidé de traverser les États-Unis en bicyclette. le départ se déroule sans encombre sous un ciel bleu, mis à part qu'elle se fait doubler par un bande de djeuns pas finauds qui se moquent de la largeur de son derrière. La scène change et se déroule dans un motel. le lecteur suit l'homme de ménage (une trentaine d'années) qui fait le lit, remplace les serviettes, pique quelques comprimés dans la trousse à pharmacie et remplace le tableau accroché au mur par un autre. Suite à un accident matériel qui la laisse sans vélo, Bee est obligée de séjourner dans ce motel. Il se trouve qu'un couple de jeunes dealers s'y arrête également.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas lu une bande dessinée qui me donne envie de la relire aussitôt terminée. Rien que la lecture du titre met la puce à l'oreille : le service d'amélioration des peintures exposées dans les chambres de motel. Jason Little met en scène une jeune femme sérieusement travaillée par ses hormones (il est évident qu'elle part avec l'idée bien arrêtée de perdre sa virginité lors de ce périple) qui n'est ni blasée, ni naïve, avec un esprit ouvert. le lecteur suit Bee dans des aventures qui comprennent leur lot de courses-poursuites. À aucun moment, Jason Little ne se prend au sérieux, il a construit un scénario avec des rebondissements avec une histoire de deal de drogues contrarié. D'un autre coté le ton qu'il adopte montre que si les enjeux sont réels, les principaux personnages (Bee et Cyrus, le peintre - homme de ménage) ne courent pas beaucoup de risques. L'un des attraits de ce récit réside dans l'absence d'angoisse et de violence exacerbée.

Pour autant, le lecteur ne se retrouve pas dans un Tintin, ne serait-ce déjà que par la présence de relations sexuelles et par le deal de pilules du bonheur. Encore que les illustrations peuvent également évoquer un parfum de bandes dessinées pour jeunesse avec un style évoquant la ligne claire européenne. La mise en couleurs repose sur des teintes claires (sans être pastels ni délavées) qui évoquent aussi une certaine légèreté. Enfin, Little a choisi un format comics mais en orientation paysage plutôt que portrait, ce qui crée un décalage très agréable. Ces 4 particularités (action sans angoisse, dessins arrondis de formes simples, couleurs gaies sans êtres criardes et format inhabituel) font de cette bande dessinée une lecture très séduisante.

Mais ses bons cotés de s'arrêtent pas là et plusieurs éléments lui permettent d'accéder à la catégorie inoubliable. Il est évident que l'inclusion d'une activité sexuelle saine qui ne tombe pas dans la pornographie est toujours attirante ; Jason Little présente son héroïne comme décidée sans pour tomber dans la caricature ou la facilité. Il y a la silhouette de Bee qui n'est pas celle d'un top modèle, éloigné des clichés des magazines de mode ou de charme. Puis il y a l'activité de Cyrus : modifier les toiles des motels, activité à la fois subversive et dérisoire. Il y a l'activité même de nettoyer les chambres ; je ne sais pas si Little a déjà exercé ce métier, mais les anecdotes présentes sonnent véridiques. Il y a la page relative à l'architecture de l'hôtel de luxe qui attire l'attention sur une autre dimension de ces lieux de vie. Jason Little truffe son récit de nombreux passages plus calmes qui emmènent le lecteur explorer rapidement un endroit inattendu, qui amène une réflexion surprenante.

Jason Little aime bien également insérer des détails superflus (ou en tout cas non essentiel) dans les cases. Dès les premières pages, cette volonté de faire évoluer ces personnages dans des lieux plus développés que ne le nécessite l'histoire saute aux yeux. Lors de la soirée dans l'appartement, chaque invité possède des traits distincts et une tenue vestimentaire particulière. Page 14, il s'attarde sur les décors de la ville que traverse Bee en vélo, ainsi que sur les 2 ponts sur lesquels elle passe. Lorsque Cyrus pousse son chariot de chambre en chambre, il s'agit d'un modèle réaliste avec les ustensiles nécessaires à la tâche. Little ne se contente pas d'esquisser vaguement, il apparaît qu'il sait de quoi il parle et qu'il dessine des objets qu'il connaît. Page 54, une dealeuse compte le nombre de pilules pour la commande qu'elle prépare. Little conçoit l'environnement particulier de cette pièce, entre chambre d'adolescente et professionnelle de la chimie (poster de rock, flyer pour une manifestation en faveur de l'homosexualité féminine, peluche, livres de chimie, modèle d'ADN, etc). L'utilisation d'une ligne claire permet que chaque case reste lisible malgré un nombre de détails qui peut être élevé. Enfin, Little tire le meilleur parti du format paysage, y compris pour les scènes d'action. Page 159, Cyrus est poursuivi par un militaire en goguette, pris en chasse à son tour par Bee, dans les couloirs et les escaliers d'un hôtel de luxe. Little a découpé sa page en 3 colonnes : la première pour la course dans les couloirs, la deuxième pour situer en 1 case les 3 personnages sur 3 paliers différents de l'escalier, et de même pour la troisième. Cette mise en page est aussi intelligente qu'efficace et simple. Et Little ne triche jamais sur le plan graphique puisque le lecteur a même droit de contempler plusieurs tableaux améliorés par Cyrus.

Le contenu de cette bande dessinée tient toutes les promesses du titre décalé. Jason Little construit une intrigue bien structurée sur fond de deal de drogue mal goupillé, pour raconter l'histoire d'une jeune dame futée, avec un artiste peintre dans une démarche particulière, avec des illustrations plaisantes et riches.
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