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Critique de enjie77



« Il nous racontait les nombreux voyages que maître Lull avait accomplis en mer. Puis il nous parla du Livre de l'ami et de l'aimé et nous en lut plusieurs passages. Dès que j'entendis ce titre, le livre de l'ami et de l'aimé, celui-ci se condensa en une seule merveilleuse expression : l'Ami Aimé. C'était comme si la lumière était soudain entrée au milieu du désordre de mon coeur. Cette expression définissait de façon inattendue la confuse pelote de sentiments et de sensations énigmatiques que je ressentais pour mon camarade. »

Lluis Llach, ardent défenseur de la culture catalane, exilé sous Franco du fait de son engagement, chanteur, m'était totalement inconnu jusqu'à ce jour et jusqu'au billet de nos amis andras et krout. C'est son premier roman et c'est une réussite, Il n'y a qu'à regarder la couverture, elle parle d'elle-même, en noir et blanc, c'est l'instantané d'un quartier populaire. Il y a bien longtemps que je cherchais à lire une fiction mêlant la grande et la petite histoire. J'étais en quête d'une immersion dans l'histoire catalane des années 20 jusqu'à l'après guerre civile pour mieux appréhender l'atmosphère, m'en imprégner, être au plus près des gens, devenir républicaine catalane le temps d'un roman. Et ce livre a répondu au-delà de toutes mes attentes !

Lluis, jeune réalisateur, en manque d'inspiration, propose à un vieux monsieur de 87 ans, Germinal Massagué, bel homme, aux yeux fardés, de lui confier son histoire ainsi que celle de la Barceloneta. Germinal regrette que ce ne soit pas Fellini. Malgré son manque d'enthousiasme, il va lui confier le récit de sa vie, l'histoire de la Barceloneta, de ce quartier portuaire populaire où vivent tant de pêcheurs, de ces barques reposant sur le sable de la plage, de ces ruelles écrasées sous le soleil, de ce linge aux fenêtres, des senteurs maritimes, de cette vie faite de difficultés mais aussi de solidarité, de fraternité, d'amour qu'il aimerait faire revivre au travers du destin de quatre enfants, élevés ensemble, deux garçons et deux filles, les « inséparables ».

L'écriture possède une telle vitalité que je me suis retrouvée à la place de Lluis. J'avais la caméra au poing et Germinal me parlait, me racontait cette Espagne populaire et militante. Sous mes yeux, la Barceloneta s'est animée tout au long de nos vingt six entretiens.

Gros plan sur les quatre inséparables, les deux filles, Joana et Mireia et les deux garçons, Germinal et le beau David, si intelligent, si beau, si sensible, sur ses parents, un papa docker « beau comme un Dieu de l'Antiquité » - « Les dieux n'ont absolument rien à démontrer, ils sont des dieux, un point c'est tout, mon père était de cette trempe », une merveilleuse maman made in France, de Sète plus exactement.

La pauvreté, la misère est palpable mais l'amour, la lumière jaillissent de ce récit. Les enfants sont heureux et insouciants. Ils ne sont pas atteints par la situation effarante des ouvriers, les injustices, les jalousies, les attentats, les réunions syndicales, ce monde qui ne leur ai pas encore accessible mais qui pourtant, gémit et agonise autour d'eux. Ils ne prennent pas conscience des difficultés qui minent leurs parents. Ils partagent tout, leurs premières amours, leurs premières découvertes de la sexualité, dans un climat total de désinhibition voire d'un langage très cru.

Mais dans ce chaos ambiant où les affrontements présagent un avenir très sombre, il y a l'école. Chez Josep Massagué, les mots « éducation, connaissance et culture » occupent les autels les plus élevés de son Olympe personnel. Alors ce ne sera pas n'importe quelle école, une école particulière qui développe de nouvelles méthodes d'éducation, un lieu merveilleux de transmutation où malgré les diversités de provenance, de classe social, de langues diverses, une fois passé la blouse, les enfants sont tous égaux. L'école de la mer est de ces lieux exceptionnels où des hommes et des femmes oeuvrent pour donner un sens à l'un des plus beaux mots qu'on puisse trouver dans un dictionnaire « enseignement ». Sans oublier, l'autre lieu de culture et du militantisme, la librairie de Ramon Ramanguer, aux yeux cachés derrière ses deux culs de bouteille, « le Crépuscule du Capitaliste ».

Puis vient l'adolescence et dans un récit magnifique, bouleversant, Germinal se dévoile et révèle son amour pour David, cet « Ami Aimé », ce bouleversement intérieur qui le révèle à lui-même, ce diamant brut caché au plus profond de son coeur, qu'il porte comme un feu intérieur et qui jamais ne faiblira.

Le temps passe et subrepticement sape l'insouciance des enfants, les sépare, la Grande Histoire rejoint la petite histoire avec violence et glisse vers l'obscurité. Germinal s'engage puis c'est le tour de David. La Lumière fait place aux ténèbres et j'ai glissé lentement avec eux dans cette nuit qui recouvre l'Espagne, approché la vie de femmes et d'hommes qui ont vécu cette nébulosité, cohabité avec la petitesse de l'être humain, et approché le véritable Amour, celui qui résiste à tout, qui vous consume au risque de vous amener sur le terrain du châtiment.

L'auteur possède, à l'image de Stefan Zweig, la remarquable capacité d'entrainer son lecteur au plus profond de l'âme humaine, de dépeindre les pensées qui assaillent l'esprit humain, nous permettant ainsi de nous identifier à ses personnages. C'est un roman fort, vibrant, enflammé, militant où Barceloneta vous prend dans ses filets et ne vous laisse pas de répit. Stupéfaction quand Barcelone digne, souffre, saigne, mais illumine le récit. C'est un immense appel à la Liberté !

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