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Critique de HenryWar


Monsieur de Bougrelon est un roman sur rien ou presque sur rien, quasi sans intrigue, une couleur avant d'être une somme d'actions, le récit de deux Français en visite à Amsterdam qui s'ennuient dans ces rues froides et mal peuplées et qui rencontrent une truculence de haute lignée, Bougrelon lui-même, qui se propose cicérone vers de sensuelles distractions tout en leur racontant, d'un ton passionnément désuet, les événements pittoresques de son passé français d'aristocrate. Ce cyrano défraîchi, acculé à une fière misère, constitue la voix de presque toute la narration, quoique le narrateur soit l'un des touristes, mais il est si volubile et tant fascinant d'ampoule et d'incongruité qu'il occupe à lui seul la place et même le volume de ce court roman, avec ses parures ostentatoires de dandy intempestif qui le font universellement étranger et disparate, avec ses discours enflés de style et bardés de jeux lexicaux où l'originalité tapageuse rend l'impression d'une figure démesurée à la culture pléthorique, avec ses récits de femmes convoitées, d'exil d'outre-siècle et de divertissements surannés autant que bizarres, avec toute sa dignité empressée de pathétique chimère. Il racontera entre autres, en convoitant des portraits sulfureux et en pelotant des musées de pelisses, comme une certaine femme qui lui résista fut assassinée par son serviteur noir qu'elle exaspérait de son corps tentateur, comme les yeux de la morte lui furent ensuite évoqués par un caniche fille qu'il poursuivit jusque dans les ruelles les plus sombres, puis comme cette chienne après avoir été trucidée par un grand ami noble se rappela à lui sous la forme d'un ananas en bocal qu'il conserva comme un évocatoire infiniment précieux de toute la vie effervescente et profonde des tropiques quintessenciés. Ce récit très fin-de-siècle exacerbe les sens jusqu'à la dégénérescence, dégoûte incommensurablement de la vie moderne, imprègne d'une moite lassitude le désoeuvré à la recherche perpétuelle de nouveautés, accompagne tout pérégrination inutile d'un spectre diffus de mélancolie mollement distraite, menace de pamoisons des sangs trop purs qui vaquent comme ils peuvent et profitent presque avec vampirisme de l'occasion d'une balade jusqu'à l'ivresse, comme précédant la trop calme et logique résolution du revolver.

C'est évidemment un travail de haut style que cet écrin de velours qui ne renferme que des fantômes d'être avec ses senteurs passées, une gageure que de savoir à ce point parler d'une absence avec les formes de l'envoûtement, une identité et une littérature que d'assumer une relation uniquement sur des ambiances de chair épuisée, un caractère superbe de ne pas vouloir s'abaisser à l'intérêt des foules engouées que pour des vivacités édifiantes et des déterminations fortes. En demi-teinte, en clair-obscur, en quasi-gothiques abus, des galeries doucereuses d'une pesante malséance, la sensation d'une race en extinction ou dont la décadence se perçoit à la prédominance de manière sur le fait, l'impression d'un souffle brisé avec force alanguissements cardiaques, cadavériques et dévalés – ou bien j'y vois trop, moi seul, dans ces vents violents et ces rideaux d'humidité plombée, le décor propre à exalter ma pensée fascinable et artiste d'une abondance de significations souffreteuses. C'est néanmoins une excellente pièce sur un vide, une pièce sur une façon de combler un vide, une pièce sur le comblement impossible d'un vide au moyen de la posture et de la verve. Évidemment, comme histoire et comme édification, c'est maigre, mais comme type et comme art, quel dédain et quel succès !
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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