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Critique de Arakasi


Au commencement, il y avait les « autres », des êtres humains dotés de pouvoirs fantastiques leur permettant de combattre, tuer et voyager grâce à la magie. Fidèles à la tradition de tous les romans de fantasy classiques, ils se sont divisés en deux camps : les Clairs et les Sombres, les premiers défendant l'altruisme et le devoir de mener l'humanité vers un avenir meilleur, tandis que les seconds prônaient l'individualisme et le droit d'agir comme bon leur semblaient quitte à piétiner au passage leurs voisins (que ceux qui ont vu Star Wars lèvent la main !). Pendant des siècles, les deux camps se sont affrontés sur le champ de bataille, accumulant les cadavres et les bains de sang. Jusqu'au jour où les belligérants durent affronter une vérité désagréable : s'ils continuaient à ce rythme, ils risquaient fort de tout faire péter autour d'eux, la Terre y compris – ce qui, convenons-en, s'avérerait fichtrement embarrassant pour les uns comme pour les autres.

Pour éviter cette alternative déplorable, un traité a été signé au début du Moyen-Âge garantissant la non-intervention des deux camps (en clair : vous ne mettez pas votre nez dans nos affaires et on tient le nôtre à l'écart des vôtres). Deux contrôles furent créés : le Contrôle de la Nuit par les Clairs et le Contrôle du Jour par les Sombres, chargés de s'assurer qu'aucun des deux camps ne violerait le traité. Et c'est là que les choses deviennent amusantes…

Nous sommes au début du XXIe siècle à Moscou et force est de reconnaître que la belle ardeur des premiers affrontements s'est bien dégradée ! Obligés par la force des choses d'abandonner la guerre ouverte, les « autres » se sont progressivement fondus dans la population humaine. Les indécrottables bellicistes des deux camps, incorporés respectivement dans le Contrôle de la Nuit et le Contrôle du Jour, sont forcés de mener une guerre sous-terraine faite de magouilles tordues, d'espionnage et éventuellement de procès – preuve que tous ces braves gens sont tombés bien bas.

Anton est l'un d'eux. Ex-informaticien, il a rejoint les forces de la Lumière quand ses pouvoirs ont été découverts et a été incorporé plus ou moins par hasard au Contrôle de la Nuit où il passe la majeure partie de son temps à classer des dossiers et réparer des bugs informatiques (on est Russie quand même, ce qui veut dire que la bureaucratie est reine, y compris chez les forces de la Lumière). Mais ça cogite ferme en haut-lieu et Anton ne pourra pas mener longtemps sa petite existence paisible de mage bureaucrate. Entraîné dans les manoeuvres tortueuses et pas trop scrupuleuses de son chef pour assurer la suprématie des Clairs, le jeune homme va s'attirer ennui sur ennui et réaliser vite que la différence entre le Bien et le Mal peut se révéler très… fluctuante.

« Les Sentinelles de la Nuit » est le premier tome de la trilogie homonyme de l'écrivain russe Sergueï Loukianenko et, accessoirement, un de mes coups de coeur littéraires de cette année. D'abord c'est de la fantasy russe et, croyez-moi, ça se voit ! Et pas seulement parce qu'on y absorbe des litres de vodka dans une atmosphère de fatalisme désenchanté. Loukianenko a réussi le petit exploit de remettre en scène l'éternel combat entre le Bien et le Mal, mais version Guerre Froide, avec tout ce que cela implique de petits coups fourrés mesquins, de manipulations, de propagande pas forcément subtile, de mensonges bien attentionnés, etc… le scénario – mélange improbable mais réussi de fantasy urbaine, de parodie de roman d'espionnage et de n'importe quoi – fourmille de bonnes idées et de personnages intéressants.

On peut difficilement ne pas s'attacher au narrateur Anton, gentil garçon un peu largué mais doté d'un solide sens de l'humour, dont le regard de plus en plus désabusé sur le monde qui l'entoure, bien moins manichéen qu'il n'y parait au premier abord, est un des principaux charmes des romans. Mais mon coeur va spontanément vers son supérieur hiérarchique Guesser (ou Gesar dans la traduction anglaise), le chef du Contrôle de Nuit de Moscou, manipulateur éhonté et fervent adepte du bon vieil adage : « La fin justifie les moyens ». Il est brillant, retors, arrogant, cynique, idéaliste, agaçant et parvient pourtant à être un type bien tout de même : je l'aime.

En conclusion, « Les Sentinelles de la Nuit » est le début d'une trilogie très réjouissante (dont je chroniquerai les tomes suivants tout aussi réussis si j'en ai le temps et la motivation) qui, si elle n'est pas exempte de défauts, se démarque plaisamment des autres romans de fantasy par son originalité et son second degré omniprésent. Et c'est également la seule trilogie fantastique de ma connaissance où c'est le « bon camp » qui ourdit des machinations compliquées et machiavéliques pour contrôler le monde et ça, c'est tout de même un sacré argument en sa faveur ! Avis donc aux amateurs : ne vous laissez pas arrêter par les couvertures hideuses d'Albin Michel et tentez votre chance, vous ne le regretterez pas l
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